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La Bible restituée

Carlo Suarès : HA-QABALA

Carlo Suarès

mercredi 24 novembre 2010

Extraits de Carlo Suarès, La Bible restituée

Puis vient le chapitre Teroumah, contribution. Ce qu’Israël a dû payer et doit encore payer ne peut être imaginé.

Moïse ne passa pas le Jourdain, mais le peuple le passa, guidé par Josué, serviteur d’une divinité tribale ayant usurpé le tétragramme YHWH. Cette divinité s’était imposée lorsque Yîtro, intervenant à la place de Mosché, avait remplacé YHWH par Elohim. Nous examinerons plus loin, et plusieurs fois, ces deux schèmes. En bref, Elohim, d’après ses idéogrammes, est le processus en évolution de l’énergie en cours de structuration, tandis que YHWH est l’énergie pleinement structurée ayant retrouvée l’immanence unificatrice. En d’autres termes, l’immanence en se révélant à Mosché l’avait mis dans l’impossibilité d’agir. Yîtro, en plongeant cette immanence dans la durée, dans un déterminisme historique, avait renversé le sens de cette énergie. Le dieu de Josué, de ce fait, est l’opposé de YHWH, jouant contre YHWH, pour YHWH. Josué envahit le pays de Canaân et c’est alors que commença la vraie histoire des Juifs, une histoire de violence, de guerres, de destructions, de massacres.

Leur dieu ne cessait d’affirmer par la bouche de Josué que c’était lui qui avait combattu, lui qui avait exterminé des populations... n’avait-il pas arrêté le cours du soleil et jeté des pierres du haut de son ciel pour mieux anéantir les victimes de cette invasion ?

Après la mort de Josué, YHWH arma les fils de Juda. Ils attaquèrent Jérusalem, tuèrent ses habitants, mirent le feu à la ville, et adorèrent les Baals et les Astartés, ce qui suscita la colère de YHWH. Il livra les fils d’Israël aux mains des pillards et de tous leurs ennemis, il les priva de toute résistance, les plongea dans la détresse et leur envoya des « Juges ».

YHWH était avec les Juges et protégeait Israël pendant toute la vie du Juge, ayant pitié du peuple, mais à la mort du Juge les fils d’Israël se corrompaient plus encore que leurs pères, adoraient les idoles, enflammaient de nouveau la colère de YHWH, lequel, balançant entre la rigueur et la clémence, tantôt livrait le peuple à ses ennemis, tantôt lui permettait de se mêler en paix aux autres nations. Le résultat était toujours le même : les enfants d’Israël retombaient dans l’idolâtrie.

La Qâbala traditionnelle se reconnaît en ces Juges (les Schôfitîm) qui, par intermittence - à la façon dont on souffle sur un feu qui s’allume mal -. venaient projeter sur la matière épaisse et grossière de ce peuple primitif le mouvement organique de la vie cosmique. Sans ces Juges cabalistes, la Révélation était perdue.

Mais tout se détériora : les derniers Juges, fils de Samuel, furent cupides et malhonnêtes et le peuple voulut avoir un roi « comme il y en a chez toutes les nations » (I Sam. viii). « Samuel vit avec déplaisir qu’ils disaient : Donne-nous un roi pour nous juger. Et Samuel pria YHWH. YHWH dit à Samuel : « Ecoute la voix du peuple dans tout ce qu’il te dira, car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux. »

Malgré les sévères avertissements de Samuel, les fils d’Israël se constituèrent en Etat politique « comme toutes les nations » et, de ce fait, le nom d’Israël n’eut plus aucun sens.

Toute la vie du premier roi, Saül, fut une période sanguinaire de guerres incessantes. Le règne troublé de David s’acheva cependant sur une note apaisée qui prépara le règne fastueux de Salomon. Celui-ci épousa la fille de Pharaon et la conduisit à Jérusalem où se construisait le célèbre temple.

Salomon régna sur tout Israël, fit alliance avec le roi de Tyr, bâtit des villes, accumula de grandes richesses et mourut après avoir régné quarante ans.

Cet apogée de la grandeur royale, marqué par sept cents épouses et trois cents concubines, fut sa fin. Le pays se divisa en deux royaumes.

Jéroboam, roi d’Israël, pour marquer son indépendance face au royaume de Juda, rétablit le culte des idoles, cependant que Jérusalem passait d’un roi « qui faisait bien » à un roi « qui faisait mal » ou même « très mal » aux yeux de YHWH, alternativement adorait des idoles et revenait aux lois de Moïse, « ne s’humiliait point » devant les prophètes ou les craignait.

Dans le temple, le culte de YHWH consistait à répéter des gestes et des formules : la Qâbala gémissait, pleurait, maudissait ou éclatait en fureur par le truchement des prophètes, mais le livre était ignoré des prêtres, des rois et du peuple.

... Un jour on l’avait retrouvé au fond d’un vieux coffre sous des monnaies offertes au temple (II Chr. xxxiv, 14)...

Enfin le mouvement de balancier entre YHWH et les idoles bloqua Jérusalem dans une impasse.

Ce fut la fin de ce « contenant », de cette coque, de ce Yod de continuité.

L’aventure terrestre de Canaân avait été l’erreur du peuple et la nécessité du mythe, car si Jérusalem n’avait pas existé en tant que haut-lieu du mosaïsme, YHWH ne l’aurait pas détruite et c’est sa destruction qui importe.

Pour Israël, Canaân n’a pas de frontières, et YHWH n’a pas de temples et tout abri, tout refuge, doit s’écrouler.

YHWH, donc, fit monter contre le peuple son serviteur Neboukadnetsar. Ce roi des Kasdîm (c’est ainsi que le désigne II Chr.) était donc le roi des profondeurs prénatales - chaldéennes - d’où Abram était sorti.

Il reçut l’ordre de YHWH de tout détruire en Jérusalem, de « tuer par l’épée les jeunes gens dans leur sanctuaire, de n’épargner ni le jeune homme ni la jeune fille, ni le vieillard ni l’homme aux cheveux blancs ».

Et YHWH livra tout entre les mains de Neboukadnetsar. Tout fut pillé, incendié, démoli, détruit. Il ne resta pas un palais. Le temple disparut sous ses décombres. Les objets précieux furent brûlés ou emportés. Et les quelques survivants de cette catastrophe furent emmenés captifs à Babylone et assujettis... Jusqu’à ce que le pays « eut joui de ses sabbats ... il se reposa tout le temps qu’il fut dévasté jusqu’à l’accomplissement de soixante-dix ans ».

Soixante-dix est le nombre de la Rénovation. Avec lui, symboliquement, une nouvelle vie se présente, inconditionnée, ouverte à tous les possibles possibles.

Sous son signe, Babylone est détruite, vaincue par les Perses, et Cyrus libère le peuple captif. Celui-ci, ayant donc séjourné 70 années symboliques dans son milieu pré-natal, revient à Jérusalem, si neuf en cette nouvelle naissance, qu’il a oublié jusqu’à sa langue.

Il n’a pas, pour autant, compris sa mission universelle. Il commence à reconstruire le temple. Les travaux sont arrêtés. Ils reprennent avec de grandes difficultés, bref, voici le temple debout, après de longs délais.

Tout le peuple s’assemble alors comme un seul homme sur la place qui est devant la Porte des Eaux « sans savoir en quoi consiste sa religion. Esdras et les autres scribes lisent le livre au peuple et « en donnent le sens pour faire comprendre ce qu’ils ont lu ». (Noter le symbole « porte des eaux ».)

Ce fut un recommencement, et la Qâbala réapparut en la personne de l’initié Esdras.

Ce nouveau départ était en étroite observance des lois de Moïse et en communion avec un YHWH à la fois cosmique et tribal. Cette solide adhésion au Livre permit à ce petit peuple de supporter la domination perse.

Ce livre avait été, dit-on, re-écrit par Esdras qui lui avait donné la graphie que nous possédons jusqu’à ce jour. Le Pentateuque, tel que nous le connaissons, serait son oeuvre qu’il aurait composée en partie sur des documents, en partie sur une tradition orale.