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La Bible restituée
Carlo Suarès : HA-QABALA
Carlo Suarès
mercredi 24 novembre 2010
Extraits de Carlo Suarès, La Bible restituée
Moïse, surgi des eaux, est une nouvelle naissance dont la nature est à la fois identique et opposée à tout ce qui la précédait (préparée, il est vrai, par l’ambivalent Yôssef).
Je suis obligé ici, non sans quelques hésitations, de rappeler une terminologie assez connue de la Qâbala, en disant que le récit de l’Emanation passe, avec Moïse, au récit de la Création, puis à celui de la Formation et de l’Action en ce qui concerne Israël.
L’époque des hommes isolés en qui vit le germe de l’humain à venir était révolue depuis longtemps. Au temps de Moïse on se trouva au début de l’époque des peuples. Les tribus, 70 personnes à leur arrivée en Egypte, étaient au moment de l’Exode, 430 ans plus tard, 600 000 « hommes de pied, sans les enfants » (les femmes ne sont pas mentionnées).
Comment préserver la semence élohimique, plongée dans une substance humaine brute, grossière, primitive, incapable de se diriger vers son déconditionnement ?
La terminologie des cabalistes, que je ne puis éviter ici, a un mot : Sephiroth, pour désigner dix aspects de l’énergie cosmique UNE, le Aïn-Sôf : dix états des transformateurs et distributeurs de l’énergie non manifestée.
Cette énergie créatrice, dans le mythe de Moïse, disparaît à la perception des nouvelles masses humaines. Elle veut, pour ainsi dire, s’immerger dans le sang humain.
Les « Sephiroth » ou aspects de cette énergie qui étaient à l’oeuvre en émanation dans le mythe depuis Adam jusqu’à Abraham et sa famille, se transformèrent donc en d’autres « Sephiroth » : l’Intelligence devint Rigueur et la Sagesse devint Clémence.
C’est sous ce double signe que s’ouvre le livre de Moïse. Ce livre est celui d’une création : la création d’un contenant ; d’une coque, d’une enveloppe vivante, capable non seulement d’abriter le germe de l’humain mais de vivre en symbiose avec lui, d’être un avec lui jusqu’au moment de son nécessaire éclatement par maturité (aujourd’hui même). En fait, une nouvelle naissance de l’homme.
Parce qu’au temps où j’écris ce moment est arrivé, le processus entier nous apparaît clairement aujourd’hui.
Les deux « Sephiroth », Rigueur et Clémence, accompagnent l’action de Moïse-Aaron et les deux clés du mystère d’Israël, circoncision et connaissance du Nom, sont, dès le début, données à Moïse. C’est un véritable recommencement.
Cette histoire n’entre pas dans le cadre de mon ouvrage, mais il est nécessaire que je situe celui-ci dans le cadre général du mythe. Je traiterai donc quelque peu de la légende de Moïse.
Le cyclone psychique dont j’évoquais tout à l’heure l’image, a, en cette occasion, soulevé et enflé à un tel point l’imagination populaire que tout le récit, le combat magique entre YHWH et Pharaon, les dix plaies d’Egypte - dont une seule aurait suffi pour anéantir le pays - doivent retrouver leur sens avant que j’aille plus loin.
Mosché (et non « Moïse », qui n’a aucun sens) est Mem-Schîn-Hé : le souffle ou métabolisme cosmique (Schîn), vivant (Hé) est en lui ; symboliquement, « sauvé » des eaux (Mem).
Précédant ce sauvetage, le texte nous fait entendre un des thèmes essentiels du mythe : le violent combat entre YHWH et les puissances terrestres, chacun des deux contestants voulant introniser son « premier-né ».
Pharaon ordonne de tuer tous les nouveau-nés mâles hébreux. Ils sont sauvés, YHWH ordonne [1] à Moïse de dire à Pharaon « laisse aller mon fils ... si tu refuses ... je ferai périr ton fils, ton premier-né » et, aussitôt après (Ex. iv, 23, 24 : les versets se suivent) YHWH se jette sur son propre fils, Mosché, pour le tuer (Mosché identifié ici à Israël, dont YHWH dit : Israël est mon fils, mon premier-né).
La lutte reprend, Pharaon écrase de plus en plus les Hébreux, leur refuse la paille pour faire des briques, etc. YHWH envoie les célèbres dix plaies symboliques. (Ces symboles expriment une nouvelle Genèse, un peu à la manière du déluge qui détruit un monde pour en créer un nouveau. Leur examen prendrait trop de place ici.) On sait enfin que la dixième plaie consiste en un massacre de tous les nouveau-nés d’Egypte.
A ce thème se greffe celui du sang, qui revient si souvent dans la Genèse. Adamah, la terre, boit le sang d’Abel. YHWH réclame le sang des hommes à Noé « pour le souffle qui est en eux », etc.
La première plaie d’Egypte est l’eau changée en sang et les magiciens d’Egypte montrent qu’ils peuvent, eux aussi, provoquer cette mutation.
Au moment de l’exode les Hébreux échappent au massacre en se signalant par du sang sur leurs portes.
Ce symbole, qu’on retrouve dans les Evangiles et l’Apocalypse est encore vivant aujourd’hui, sous de nombreuses formes. Dans le corps de cette étude nous le trouverons à son point de départ : Adâm, le Aleph dans le sang (Dâm, en hébreu, veut dire sang). Ce schème en trois idéogrammes, Aleph, Dâleth, Mem, exprime dans sa totalité l’homme en son essence et sa vocation.
Un autre thème, apparent et explicite, dans la légende de Mosché est celui de la transfiguration de la femme. Ce thème est très important. J’ose dire qu’il est essentiel. Nous le suivrons plus loin au cours de la Genèse. C’est toujours la femme qui, à chaque étape allant de l’émanation à la création, à la formation, à l’action, rend cette étape possible. Ici deux sages-femmes, en accord avec Elohim, sauvent les nouveau-nés hébreux. Mosché est sauvé une seconde fois par deux femmes, dont une est sa « sour » (symbole que nous expliciterons avec Sarah, Rebecca et Rachel). Nous verrons tout à l’heure Sephora, l’épouse de Mosché, assumer la conduite du mythe.
Mais suivons le texte. Mosché rencontre un Egyptien qui bat un Hébreu et il le tue (Rigueur), puis deux Hébreux qui se querellent et qui le sauvent (Clémence). Ainsi se présente l’ère des deux Sephiroth : Rigueur et Clémence [2].
Dès lors, Mosché va vers son destin : il se rend chez le Cohên de Madiân qui a 7 filles, il délivre celles-ci de bergers qui bloquent l’accès d’un puits, il puise de l’eau et abreuve les troupeaux.
Pour la Qâbala, ces noms, ces sept filles, ce puits, veulent dire qu’en Madiân il s’était produit la mutation féminine nécessaire à la continuation du processus mis en oeuvre par Abram : l’indéterminé de tous les possibles possibles était là, et l’élément féminin, ayant accompli le cycle nécessaire à la suite de l’évolution, attendait, en ce « pays d’exil » le « fils » errant.
Mosché accepte de pénétrer chez le père des 7 filles, qui s’appelle Rêêouel (Ex. II, 18), il demeure chez lui, épouse sa fille Tsiporah (et non Sephora) et le lecteur lit quelques versets plus loin que le beau-père de Mosché s’appelle Yîtro (traduit Jethro) (Ex. III, 1).
Si ce lecteur est inattentif, il ne s’aperçoit pas de ce changement de nom. S’il s’en aperçoit il ne peut en trouver le sens que dans la Qâbala, qui se retrouve elle-même ici, après avoir disparu à tous les regards (après Yôssef).
En effet, lors du passage des fils de Yaâqov allant enterrer leur père à Mamré, la Qâbala avait été transportée jusqu’à Madiân, et conservée pieusement par ces descendants d’Abraham.
Le mythique Rêêouel, berger d’Elohim, averti par le 7 de ses filles mythiques, reconnaît en Mosché celui à qui il transmettra la Révélation.
Tsiporah, sa fille mythique, pourrait s’appeler Princesse Aurore dans un conte de fées, car son nom évoque un appel matinal, un lever, un départ.
Rêêouel, après s’être déchargé de ses pouvoirs, devient un. autre personnage, une existence enfouie dans sa résistance à la vie-mort, féconde, dont le rôle, ainsi qu’on le verra tout à l’heure, définira le sens cabalistique du nom Yitrô.
Quant à Tsiporah, elle est, dans le sens cabalistique, la femme accomplie, mûre, intelligente, dans un monde de substance humaine à l’état brut.
Mosché est conscient de son destin : serviteur de YHWH, il se sent étranger au nom de YHWH et, en témoignage, il appelle son fils symbolique Guer-Schem.
Un jour il conduit les troupeaux de Yîtro ailleurs, au delà, dans un dépaysement, et il se retrouve dans la désolation de la vie d’Elohim à l’intérieur de l’existant. Cette région a nom Mont-Horeb. De sa terrible sécheresse surgit soudain une lumière. C’est l’épisode du Buisson Ardent.
YHWH voit que Mosché se retourne pour voir ce buisson qui brûle sans se consumer et c’est alors qu’Elohim se révèle à lui et lui révèle sa mission.
« Quel est ton nom ? », lui demande ensuite Mosché. Et c’est alors qu’éclate la prodigieuse révélation : Ehié Ascher Ehié (Aleph-Hé-Yod-Hé, Aleph-Schîn-Reisch, Aleph-Hé-Yod-Hé), suivi immédiatement par : « Tu diras aux fils d’Israël : YHWH iii’a envoyé à vous. Oui, tu leur diras YHWH (Yod-Hé-Waw-Hé). » Oui, Ahié (Aleph-Hé-Yod-Hé). Oui, YHWH (Yod-Hé-Waw-Hé). Un Yod pour un Aleph. Un Hé pour un Hé. Un Waw pour un Yod, un Hé pour un Hé » (Ex. iii, 13, 14).
Toute traduction de ces idéogrammes, même en langue hébraïque, est une abomination. L’homme de la Qâbala ne peut que contempler ces quelques signes et s’il est vraiment un homme de la Qâbala, l’univers se précipite en lui ; et tout ce qui vit et tout ce qui meurt ; et ce qui existe ; et ce qui n’existe pas ; et ce qui a existé ; et ce qu’il y aura ; et ce qui n’aura jamais plus lieu ; le temps et l’espace sont là et sont dissous dans l’intemporel ; et le prodigieux mystère est là de tout ce qui détermine l’indéterminé ; et la sanctification est là ; et l’homme meurt de tant vivre.
Et cela, c’est la Qâbala. Elle est facile à comprendre si l’on connaît le jeu que jouent le Aleph-vie-mort-vie-mort et le Yod-existant ; le Aleph pulsation discontinue, tantôt immanente, tantôt actualisée et le Yod permanent et continu, toujours perdant en dépit de la psyché qui ne veut pas mourir. Elle est facile si l’on sait que toute vie est deux vies et que Adâm c’est Aleph dans le sang.
Telle est la révélation accordée à Mosché d’un des deux mystères d’Israël : la Qâbala. L’autre, celle de la circoncision, lui est donnée, on le sait, par Tsiporah au moment où, pour sauver Mosché de l’agression par laquelle YHWH veut le tuer, elle se précipite sur leur fils avec une pierre tranchante et lui coupe le prépuce qu’elle jette aux pieds de Mosché en s’écriant « époux de sang » à cause de la circoncision.
Si l’on pense qu’en cette circonstance YHWH est incarné en une personne, un rôdeur, un assassin, cette scène est aberrante... Si l’on sait que cette scène est une nécessité du mythe, Tsiporah, son fils et Mosché lui-même n’y figurent qu’en symboles.
Ce qu’il y a de certain c’est qu’à partir de ce moment-là le pacte avec YHWH pénètre la chair d’Israël et lui transmet, par la circoncision à huit jours, un mouvement qui l’éveille.
On a souvent cherché à expliquer le passage à sec de la mer Rouge, la manne du désert, le rocher de Horeb d’où Moïse fit surgir de l’eau, la colonne de feu et la nuée sur le tabernacle, les phénomènes météorologiques sur la montagne où se rendait Moïse, des invraisemblances de toutes sortes, ainsi que les flots de paroles, de discours, de lois, de règlements, d’indications minutieuses provenant d’une pseudo-divinité, qui remplissent la suite du Pentateuque.
Mieux vaut ne pas chercher à dégager les événements historiques enfouis sous cette surabondance de prodiges et, d’ailleurs, cet aspect du récit biblique ne nous intéresse que dans ses rapports avec la connaissance ontologique de la Qâbala.
D’après le récit, les enfants d’Israël sont six cent mille hommes armés, accompagnés de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs troupeaux.
Lorsque, sans raison apparente, la divinité leur ordonne de « se venger sur les Madianites », le seul butin (reste du pillage) est 675 000 brebis, 720 000 boufs, 61 000 ânes - et 32 000 vierges, celles-ci mentionnées en dernier.
Donc, deux millions environ de personnes et autant de têtes de bétail auraient vécu quarante années dans le désert en levant le camp plus de quarante fois (Nombres xxxiii).
Ajoutons à ces invraisemblances que si le tabernacle, l’arche, la table, le chandelier, l’autel des holocaustes, le parvis, les vêtements sacerdotaux, l’autel des parfums, la cuve d’airain, ont été construits, fabriqués, assemblés selon les minutieuses indications de ladite divinité (sans compter le veau d’or fondu en quelques jours) ces gens devaient disposer d’un outillage considérable, appartenant à de nombreux corps de métier, et de matériaux : métaux, pierres précieuses, tissus, teintures, bois rares, etc.
Considérant enfin qu’une telle population et tant d’animaux ont bien d’autres besoins qu’une manne tombant du ciel dans un désert, concluons que ce récit est délirant d’un bout à l’autre.
Quant aux Lois, référons-nous à la plus humaine d’entre elles : « Tu ne tueras point », tant vantée par les adeptes de cette divinité. Il n’est pas nécessaire de montrer que la divinité elle-même se déclare au-dessus des lois qu’elle promulgue, puisqu’elle n’intervient en général qu’en état de fureur, pour ordonner des massacres ; mais il n’est pas inutile de rappeler que Moïse lui-même, à l’imitation de ce nouveau dieu, ordonna aux fils de Lévi, à la suite de l’épisode du veau d’or : « Traversez et parcourez le camp d’une porte à l’autre et que chacun tue son frère, son parent ». Environ trois mille hommes parmi le peuple périrent en cette journée (Ex. xxxii, 27, 28).
Notons en passant les nombreuses fois où la peine de mort est requise pour des infractions que nous jugeons aujourd’hui sans gravité ; les répugnants égorgements d’animaux par les prêtres ; le dépeçage, la cuisine, le sang répandu sur l’autel ; imaginons enfin l’état d’obsession de ces gens, soumis à des prescriptions tâtillonnes qui intervenaient dans tous les actes de leur vie quotidienne et s’imposaient par des châtiments.
Par quel curieux artifice de la psyché, pour quelle nécessité inconsciente, en vertu de quelle influence hypnotique, ces chapitres sont-ils inclus dans une « Sainte Bible » ?
La Qâbala connaît la réponse à ces questions, car si Mosché étendit la tente sur le tabernacle, s’il mit la couverture de la tente par dessus, s’il plaça l’arche dans le tabernacle, s’il prit le « témoignage » et l’enferma dans l’arche (eth ha-âadeth eth ga-arôn), s’il prit un voile de séparation, s’il en couvrit l’arche, c’est parce qu’elle sait, elle, la Qâbala, que ce « témoignage » n’était autre qu’elle-même. Mosché la préservait ainsi matériellement. Et il sut, par la rigueur de son autorité magique, la protéger contre ce peuple révolté « au cou roide », en lui inspirant une invincible terreur.
Comment, par quel processus, l’exaltante révélation du Mont-Horeb avait-elle mis en oeuvre, en vue de sa protection, les valeurs les plus contraires, les plus opposées à son propre message ?
La réponse à cette question se trouve dans Ex. xvii, 8, 16 et Ex. xviii. On y lit l’apparition d’un personnage mystérieux : Aâmalekh ; ensuite intervient un autre personnage, Yehouscheâa (Josué) ; puis Mosché bâtit un autel à YHWH ; après cela Yîtro vient vers Mosché accompagné de Tsiporah et fait une offrande à Elohim ; Ahrôn (Aaron) et tous les anciens participent avec lui à un repas ; enfin Yîtro critique le comportement de Mosché et lui donne des instructions que Mosché suivra : elles sont la mise en sommeil de l’immanence yahvique et la mise en route du processus élohimique d’évolution.
Comme tous les passages sublimes de ces Livres, celui-ci échappe à la pensée des traducteurs et de la tradition vulgaire. Et, comme tous ces passages, il a plusieurs sens s’étageant à des profondeurs différentes. J’en dirai à peine quelques mots.
Seule une étude de chacun des signes-clés qui s’y trouvent peut projeter dans l’esprit du lecteur le mystère de la transformation d’énergie que décrit ce drame.
Ce drame commence avec un combat que soutiennent les enfants d’Israël contre Aâmalekh, venu les attaquer. Aâmalekh : Aâm-Leck, sur un certain plan, veut dire : « Ce qui est à Toi ». C’est une émanation de YHWH. Celui-ci, selon son habitude, procède à son test, cette fois contre son peuple et en vue de mesurer la puissance de Mosché. On peut plutôt penser qu’en se battant contre Aâmalekh, il se bat contre lui-même en une sorte d’« auto-test ».
Or c’est Mosché qui combat, car chaque fois qu’il élève les mains les enfants d’Israël sont vainqueurs et chaque fois qu’il les baisse, ils sont battus.
Mosché a besoin de secours ; et deux « principes » en effet l’accompagnent : Ahrôn (Aaron) et Hhôr, représentés par deux hommes portant ces noms. Ils soutiennent les mains de Mosché car il se fatigue. Intervient alors Yehouscheâa ( Josué), incarnation de YHWH se battant contre Aâmalekh, l’envoyé de YHWH. Il est vainqueur, donc l’immanence YHWH est vaincue par sa propre incarnation.
Ce mystère, c’est la Qâbala. C’est pour cela que YHWH dit à Mosché : « écris cela dans le Livre ». Et il ajoute : « j’effacerai la mémoire de Aâmalekh de dessous les cieux », ce qui devient très clair, car en effet, la mémoire de l’immanence est perdue dans le monde matériel.
C’est alors que Mosché bâtit un autel, et ici les traductions sont aberrantes. En réalité Mosché appelle cet autel : « YHWH iii’a miraculé ». Ce qu’il dit ensuite (lu sur un certain plan) veut dire à peu près ceci, en se référant à sa main qui a combattu : « Si la main va contre le désir de Yod-Hé, quel est ce sel pour moi ? Mais avec ce qui est à toi je serai dans l’existence des deux mondes. »
Ces deux mondes sont l’émanation et la création.
Ce qu’il y a de certain pour la Qâbala c’est que Mosché, personnage réel ou symbolique, peu importe, se trouve à ce moment-là au point précis où deux mondes se rencontrent en opposition, deux mondes qui ne sont qu’un monde. Alors cet homme ne peut plus agir.
Mosché avait compris que la fidélité est parfois trahison et la trahison parfois fidélité.
La raison humaine ne peut pas discerner la voie juste car chaque voie a ses raisons. Mosché abdique toute volonté et s’en remet à YHWH.
C’est alors que se présente à lui (Ex. xviii) Yîtro. Le texte, avec insistance, le désigne Cohên de Madiân, Hhotên de Mosché.
Le nom Hhotên est toujours traduit « beau-père » mais exprime, pour la Qâbala, l’état de disponibilité de la substance humaine à l’état brut.
La transformation de Rêêouel en Yîtro, de ce personnage symbolique, exprime le passage de la connaissance de la Qâbala à la création d’une coque, destinée à l’abriter et à vivre en symbiose avec elle.
Le Noun en final des noms Cohên, Madiân, Hhotên est l’ouverture de tous les possibles possibles dans la substance préconditionnée. De même, Yehouscheâa (Josué) sera désigné : fils de Noun. Ce sens du Noun en final, dont le nombre est 700, est absolu dans tous les passages que revendique la Qâbala.
Donc, après la méditation de Mosché, Yîtro se présente à lui, accompagné de Tsiporah. Celle-ci, d’après les traductions, aurait été « renvoyée ».
En fait, même en langage clair, le texte dit qu’elle était Schilohheya : affranchie. Conformément au thème constant du mythe, l’archétype féminin en évolution vient donner le feu vert en vue de l’étape qui se prépare. Tsiporah est accompagnée du fils que nous connaissons, Guer-Schem, et d’un autre fils, El-Yeêzer : Elohim aide.
Ce deuxième fils est une nouvelle confirmation que le moment est venu d’abandonner l’immanence YHWH pour le processus évolutif Elohim. C’est le conseil que Yîtro donne à Mosché et aux anciens réunis et que tous acceptent de suivre en mangeant le pain « à la face d’Elohim » avec ce Hhotên-Mosché.
Je terminerai ce bref aperçu de Mosché sur les versets 9-11 d’Ex, xxiv où nous voyons quatre « principes » se réunir : Mosché, le souffle cosmique affranchi des eaux ; Ahrôn, la pulsation vie-mort du Aleph, vivante dans sa maison cosmique et répondant au jeu de l’indétermination ; Nadab, la vie existentielle (de la Qâbala) dans la coque qui lui est préparée ; et Abihou, le germe vivant d’Elobim dans cette coque.
Ces quatre pseudo-personnages se réunissent avec 70 anciens (le nombre 70 sera longuement expliqué plus loin : le nom de la lettre qui l’exprime veut dire oeil). Et, tous réunis, « voient » Elohi Israël. Sous ses pieds est un ouvrage, une sorte de construction semblable à un « saphir ». Un Elohim avec des pieds est une idole. Ils ont vu autre chose : il s’agit, bien sûr, du Sepher, du livre, dans lequel est introduit le Yod existentiel. Alors les 70 et les 4 mangent et boivent.
La suite est mieux connue que comprise. Mosché « monte » dans deux vies cosmiques : Hahar : (Hé-Hé-Reisch) où se révèlent les deux vies de Yod-Hé-Waw-Hé, dans deux Noun abritant le nombre 70 ... Josué l’accompagne au départ, mais ne monte pas avec lui.


[1] J’emprunte ici, et dans les pages suivantes, le langage de la Bible qui, je le rappelle, « personnalise » YHWH pour le rendre intelligible.
[2] Cette histoire raconte la façon dont Mosché est poussé à se rendre d’urgence à Madiân, où l’attend sa révélation : il tue un Egyptien et l’enterre dans le sable afin de n’être pas découvert. Il est amené ensuite à vouloir intervenir auprès de deux Hébreux qui se querellent. « Veux-tu, lui disent-ils, nous tuer comme tu as tué l’Egyptien ? » Apprenant ainsi que Pharaon le cherche pour le condamner, il s’enfuit et va à Madiân.