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Mythes grecs et mystère chrétien

Hugo Rahner : LE MYSTÈRE DU BAPTÊME

Hugo Rahner

dimanche 15 août 2010

Hugo, Rahner, Mythes grecs et mystère chrétien.

CHAPITRE III LE MYSTÈRE DU BAPTÊME

Afin de rendre visible par des images cet ensemble mystique, on place alors, dans le verbe littéraire et dans l’art, la croix au milieu du fleuve du Jourdain. Il s’ajoute ici l’influence de-ce que nous avons dit au sujet de l’arbre de vie dans la source de l’eau des fleuves du Paradis. Mais, en premier lieu, cette croix du Jourdain est le symbole de Jésus crucifié lui-même, lequel a rendu avec son sang l’eau du baptême féconde. Par l’Itinéraire de celui qu’on nomme Antoninus Placentinus nous savons qu’une croix de bois était érigée dans le Jourdain à la place traditionnelle du baptême, à l’endroit exact où d’après la légende, le Jourdain, effrayé, se retira : « et in loco ubi redundat aqua in alveum suum posita est crux lignea intus in aquam ex utraque parte marmoris. » Partant de cette célèbre croix du Jourdain connue dans le monde entier par des rapports de pèlerins, mais pour servir à la représentation sensible d’une idée mystique encore bien plus antique, la croix de bois du Jourdain avec son socle de marbre est copiée dans de nombreuses ouvres d’art. Nous la rencontrons dans le portail de Saint-Paul à Rome, à Saint-Marc de Venise, sur un ivoire de Salerne et au British Muséum, dans le Psautier de Chludof, et même encore dans le tableau du baptême de l’Hortus Deliciarum de Herrad von Landsberg. Cette croix est la représentation sensible du fait que l’eau du baptême, par la mort de Jésus, est devenue celle qui fait don de la vie, elle est l’arbre de vie. Et, de même que dans de nombreuses liturgies orientales maintenant aussi les fonts du baptême sont tout simplement nommés « Jourdain », de même, lors de la consécration de l’eau du baptême, on plonge une croix de bois dans les flots, pour indiquer, en imitant, ce que l’on voulait exprimer aussi par la croix de bois du Jourdain. Une prière d’une liturgie grecque, l’Hymne Prooimion de la fête de l’Epiphanie, chante :

« Voyez et venez, comme l’Hélios plein de lumière est baptisé dans les flots d’un misérable fleuve. Une puissante croix est apparue au-dessus de la source du baptême. Les esclaves du péché y descendent, et en remontent les enfants de l’immortalité. Aussi venez donc, et recevez la lumière ! »

Misérable fleuve et croix puissante : et comme effet la lumière immortelle. Ce mystère est à la fois chrétien et grec. Nous saisissons ici encore quelque chose de nouveau : le bois de la croix, symbole de l’humble crucifié, donne la lumière, en lui s’enflamme ce feu que l’on a relié depuis les temps primitifs au baptême de Jésus dans le Jourdain. La croix est en même temps porteuse de lumière. Et, lorsque la liturgie veut exprimer ce mystère, elle plonge un cierge allumé dans les fonts baptismaux, afin d’indiquer symboliquement que c’est par la puissance du crucifié que l’eau maintenant dispense la « lux perpetua », l’impérissable vie de la lumière. En un mot, la croix est à la fois arbre de vie et porteuse de lumière, et les deux symboles équivalent au Christ même qui, « dans sa souffrance a sanctifié l’eau » cependant qu’il lui donnait la doxa méritée sur la croix, la force de l’Esprit-Saint. Si, pour cette raison, dans la liturgie romaine de la consécration de l’eau du baptême qui existe encore de nos jours, le prêtre souffle sur l’eau en décrivant un "psi" grec, cela n’a rien à voir avec un signe hellénique de vie incompris, mais c’est simplement (ainsi que les dernières recherches l’ont clairement exposé) le symbole de l’arbre de vie, de la croix. Et si le prêtre avant ce signe plonge le cierge dans l’eau en prononçant les mots : « Descendat in hanc plenitudinem fontis virtus Spiritus Sancti », cet usage symbolique, suivi au demeurant seulement depuis le IXe siècle, n’est pas un reste phallique des mystères antiques, comme on l’a affirmé avec une invraisemblable incompréhension de la possibilité des connexités historiques, mais de nouveau un symbole du crucifié qui dispense à l’eau la force lumineuse de l’esprit. Il serait totalement incompréhensible que l’on ait pu entendre par le cierge du baptême un symbole phallique, puisque cependant la liturgie romaine souligne comme toutes les autres que la source baptismale est un « immaculatus uterus » et que l’Église engendre ses enfants, ainsi que Marie, purement et simplement par la force de l’Esprit. Non, le cierge que l’on plonge dans le rituel du baptême est la même chose que la croix que l’on plonge dans la liturgie grecque. Bien plus, nous avons même des représentations de l’art chrétien, dans lesquelles au milieu du Jourdain, au lieu de la croix de bois, se dresse simplement un grand cierge — par exemple dans l’image baptismale du couvent des Archanges à Djemil en Cappadoce. Le cierge de Pâques est le symbole du crucifié, c’est pourquoi on y ajoute les cinq grains d’encens qui sont comme cinq plaies ; c’est l’arbre de vie de la croix, c’est pourquoi on l’orne de fleurs, ainsi que nous le montrent les rouleaux d’Exultet de l’Italie du Sud. Croix et arbre de vie transmettent la vie de lumière — c’est pourquoi le cierge est plongé dans l’eau des fonts baptismaux. Sur le splendide chandelier du cierge de Pâques à Saint-Paul de Rome il est écrit : « Arbor poma gerit, arbor ego lumina gesto. Surrexit Christus. Nam talia munera praesto ».

Nous sommes entrés avec quelques précisions dans ces questions parce que l’explication phallique du cierge de Pâques introduite par Usener et Dieterich a toujours cours, et afin de montrer sur un exemple particulier comment l’on doit expliquer et comme on ne doit pas expliquer le mystère chrétien du baptême. Baptême et croix ne peuvent être séparés, et derrière la richesse des formes liturgiques et mystiques se tient toujours la théologie primitive de la Lettre aux Romains. Un Grec inconnu, dans un prêche de baptême, l’a un jour vêtu des paroles de la pensée des mystères helléniques, mais conformément à la pensée de saint Paul :

« Toi, qui viens d’être récemment illuminé, des arrhes t’ont été données sur la résurrection par cette initiation aux mystères de la Grâce. Tu as imité la descente de ton Seigneur au tombeau. Mais tu en es remonté, et maintenant tu contemples les ouvres de résurrection. Ce que tu viens maintenant de voir en symboles, que cela te soit accordé en réalité. »