Accueil > Shruti - Smriti > Hugo Rahner : LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
Mythes grecs et mystère chrétien
Hugo Rahner : LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
Hugo Rahner
dimanche 15 août 2010
Hugo, Rahner, Mythes grecs et mystère chrétien.
CHAPITRE III LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
Christ a été ressuscité des morts le huitième jour, le jour d’Helios, qui devient alors en même temps pour les Chrétiens le premier jour de même qu’il a été autrefois le premier jour de la création du monde. — Nous avons parlé du mystère de lumière de ce jour du soleil à l’Eranos de l’année dernière. Dans la pensée du pythagorisme ancien, le nombre huit est l’image du parfait, de l’Eternel, de la tranquillité. Huit est le chiffre du cube, du corps qui s’étend dans toutes les directions à une même extension, huit est le nombre des sphères qui se meuvent autour de la terre — panta okto — dit un proverbe antique. Cela était courant aussi chez le Chrétien antique. Et maintenant, il rencontre, venant des convictions profondes que lui donne sa foi en ce qui concerne l’efficacité essentielle du baptême, tout partout, le symbole mystique du nombre huit, et il lui donne un sens chrétien. C’est le huitième jour que le Seigneur a été ressuscité ; c’est un jour de Pâques, le huitième jour liturgique que le chrétien a reçu le baptême ; et c’est le même jour que jadis l’esprit « couvait » au-dessus de l’eau. Huit hommes naviguaient dans l’arche sur l’eau et ce bois salvateur est la préfiguration de la croix. Tout est plein de ces signes et symboles secrets. Déjà dans la deuxième lettre de saint Pierre (2, 5) on lit : « Dieu n’a pas épargné le vieux cosmos, mais il a sauvé Noé dans le nombre huit (ogdoon Noe) comme héraut de la justice. » Mais, c’est là, déclare la première lettre de saint Pierre, une préfiguration du baptême (3,20/21) : « Peu d’âmes, seulement huit, furent sauvées dans l’arche en traversant l’eau — et la réalité objet de cette image (antitypon), le baptême, vous sauve maintenant grâce à la résurrection de Jésus-Christ. » A cela se rattache la riche multitude d’images du mystère du nombre huit, déjà formé au IIe siècle chez Justin : « C’est le sens de la parole de Dieu, dit-il à propos des passages mentionnés plus haut, qu’au temps du déluge le mystère du sauvetage de l’homme se réalisa déjà mystérieusement. Car le juste Noé avec les autres hommes du déluge, c’est-à-dire avec sa femme, ses trois fils et les femmes de ses fils, au total au nombre de huit, étaient par ce nombre l’image du jour où notre Christ a été ressuscité de parmi les morts, le huitième jour, mais qui par sa force est toujours le premier. Car le Christ, le premier-né de toutes les créatures, est aussi devenu le début d’une nouvelle race, qui renaît de lui par l’eau et la foi et le bois, dans le mystère de la croix. » Le baptême est ainsi la renaissance dans la vie éternelle, le passage à l’impérissable et au repos, — état qu’exprime la forme symbolique de l’image primitive de l’Ogdoade — le contraire de la naissance terrestre. Dans les extraits de Théodote, que Clément a rassemblés, on lit : « Celui qui est né de mère terrestre, celui-là est projeté dans la mort et dans le monde. Mais celui qui renaît par le Christ, celui-là est versé dans la vie, dans l’Ogdoade. De tels hommes meurent pour le monde mais ils vivent pour Dieu, de sorte que la mort soit détruite par la mort et l’éphémère par la résurrection. » La source baptismale est le tombeau de la vie périssable et en même temps le sein maternel de la vie nouvelle de la céleste Ogdoade — alors dans un tout autre sens, sens plus élevé, comme jadis la terre mère qui est en même temps sein maternel et tombeau. Origène nous a transmis un des plus beaux hymnes à la louange de ce mysterion tes ogdoados, une louange à la gloire du dimanche considéré comme le huitième jour :
« C’est le jour qu’a fait le Seigneur. Qu’est-ce qui pourrait vraiment être égal à ce jour ? C’est en lui que s’est accomplie la réconciliation de Dieu avec les hommes. C’est en lui que fut anéantie la guerre de la vie temporelle, et que la terre est devenue digne du ciel parce que les hommes qui n’étaient pas dignes de la terre, parurent dignes de l’empire du ciel, car le premier-né de notre nature a été élevé au-dessus du ciel et le Paradis a été ouvert, car nous y avons regagné notre ancienne patrie, car la malédiction a été suspendue et le péché a été racheté. Même si Dieu a fait aussi tous les jours, il a créé celui-ci de manière spéciale. Car c’est en ce jour qu’il a accompli les plus hauts de ses mystères. »
L’intelligence de ce mystère est toujours restée vivace à Alexandrie. Cyrille encore en sait ceci : « Ce que désigne pour nous ce huitième jour, c’est le moment de la résurrection, car le Christ, qui avait souffert pour nous la mort, est revenu à la vie. Mais nous lui sommes égalés en esprit, parce que nous mourons par le saint baptême afin de prendre notre part aussi de sa résurrection. Mais le moment qui paraît le mieux approprié pour une telle fête d’initiation (teleiosis) est le Mysterion du Christ, qui est symbolisé par l’Ogdoade. Mais c’est aussi la mystique latine du sacrement qui connaît ce symbole, le « sacramentum ogdoadis » ainsi que le nomme Hilaire, le « sacramentum octavi » dont saint Augustin aime à parler ; le nombre huit est le symbole de la renaissance par le Baptême et en même temps de la vie éternelle, qui commence mystiquement dans l’eau et s’accomplit dans la vie bienheureuse, dans le repos éternel, dans la contemplation de Dieu. Entre le baptême et la contemplation de Dieu toutefois se situe la montée morale du Gnostique Chrétien, la divinisation qui s’accomplit lentement par la force du baptême. Et, elle aussi, est un mystère du nombre huit. Que Clément d’Alexandrie nous la décrive :
« Celui qui s’est élevé, comme l’écrit l’Apôtre, à la taille d’un homme parfait, de lui David dit : ils reposeront sur la montagne sacrée de Dieu. Ils se rassembleront dans l’Église céleste suprême, dans laquelle viennent ensemble les philosophes de Dieu qui sont là avec un cour pur et chez qui il n’y a plus rien de faux. Car ils ne sont pas demeurés dans le nombre sept du repos, mais ils se sont rendus égaux à Dieu par de bonnes ouvres et ils ont été élevés à la dignité d’héritiers des biens qui appartiennent au nombre huit, parce qu’ils veillaient à la pureté du regard d’une insatiable contemplation. »
C’est avec cette mystique symbolique du nombre huit que les Chrétiens antiques ont même donné sa forme au lieu terrestre sur lequel on fêtait un tel mystère, ce « lieu misérable, qui est rempli par la grâce », le baptistère et les fonts du baptême. Ils construisirent les baptistères de préférence en forme octogonale, et le bassin où est l’eau qui engendre la vie est entouré d’une balustrade à huit angles. Nous possédons encore dans une vieille copie l’inscription, depuis longtemps détruite, que saint Ambroise a composée pour l’église baptismale de sainte Thècle à Milan :
« Avec huit niches se dresse le temple du service divin, Octogonale est la source, digne d’un acte aussi sacré. C’est dans le huit mystique que doit s’élever la maison de notre baptême car c’est en elle qu’est accordé à tout peuple l’éternel salut par la lumière du Christ ressuscité, qui fit sauter les verrous de la mort et libéra tous les morts du tombeau qui du fardeau du péché rachète les pécheurs qui se repentent car il les purifie dans le bain de cette source de cristal ».
Et, dans le vers final, que nous connaissons déjà, saint Ambroise prononce les mots qui donnent le sens profond du paradoxe mystique, qui s’accomplit dans le mystère du baptême : « nam quid divinius isto, ut puncto exiguo culpa cadat populi » :
« Dieu peut-il agir de façon plus sublime que de détruire dans un lieu si peu important le péché de tout le peuple ? »

