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Mythes grecs et mystère chrétien
Hugo Rahner : LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
Hugo Rahner
dimanche 15 août 2010
Hugo, Rahner, Mythes grecs et mystère chrétien.
CHAPITRE III LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
Partant de là, nous pouvons pousser un pas plus loin dans l’intelligence du mystère antique du baptême. Le baptême n’est un « mystère de la vie éternelle », un « sacramentum octavi », que parce qu’en lui la puissance de la crucifixion divine devient agissante. « Qu’est-ce que l’eau sans la croix du Christ ? Un élément ordinaire » dit saint Ambroise à ses Néomystes. Et saint Augustin : « C’est par le signe de la croix que l’eau du baptême a été consacrée. » C’est seulement dans la force génératrice de la croix que le sein maternel de l’Église devient fertile : « Per signum crucis in utero sanctae Matris Ecclesiae concepti estis » est-il dit dans un prêche de baptême post-augustinien. En un mot : nous nous trouvons devant la forme de mystère donnée à cette théologie paulinienne provenant de la lettre aux Romains, dans laquelle le baptême et la croix du Christ ont été embrassés d’un seul regard. Le baptême est le « mystère du bois dans l’eau ». Et, ceci est de nouveau un aspect partiel du mystère entier, sans l’intelligence duquel aussi bien la mystique chrétienne antique et sa liturgie que la forme de l’art chrétien jusqu’au Moyen Age nous resteraient insaisissables.
Quant au développement de ce mystère, nous devons remonter au baptême de Jésus dans le Jourdain, lequel apparaissait déjà à la théologie du Christianisme primitif comme le paradigme proprement dit du mystère du baptême : « Jésus-Christ naquit et fut baptisé afin de consacrer l’eau par sa souffrance », dit un texte célèbre d’Ignace d’Antioche. Que Dieu lui-même sous une forme humaine se tienne debout dans une eau terrestre et qu’à ce moment la théophanie de la voix divine témoigne au-dessus de lui de sa filiation : c’était pour le Chrétien antique le paradoxe, le mystère, c’était une anticipation temporaire de ce qui s’accomplirait finalement dans la souffrance de la croix, la décision entre la lumière et l’obscurité, le changement de forme du monde entier, la divinisation du terrestre, l’intervention du monde d’au-delà. Cette conviction portant sur l’essence mystique du baptême de Jésus se donne déjà de bonne heure une forme que l’on peut saisir en images. Là de l’eau du Jourdain s’enflamme un feu qui brûle, là le Jourdain recule effrayé, là les anges accourent afin de tendre au fils de Dieu le blanc vêtement de son essence divine et lumineuse. Nous ne pouvons nous occuper ici des riches questions d’histoire religieuse que pose cette transformation mystique du baptême du Jourdain. Nous ne jetterons un regard que sur ce seul point : ici, dans le baptême s’accomplit un symbole qui devient ensuite réalité sur la croix ; et qui, de la croix, passe chez les hommes sous forme du mystère du baptême. Jésus qui se plonge dans le Jourdain est l’image sensible de cette divine humilité avec laquelle il se plongera ensuite dans l’eau de mort, afin d’être ressuscité comme fils transfiguré de Dieu. Baptême et croix passent en une seule représentation. Baptême, croix et descente dans l’obscurité du monde souterrain de l’enfer représentent le mystère de l’anéantissement divin, duquel coule la nouvelle vie, et semblable au coucher du soleil dont naîtra le nouveau jour. Nous avons dans le dernier Éranos, donné connaissance du merveilleux texte, dans lequel Melito de Sardes compara cette descente de Dieu dans l’eau du baptême et dans le monde des morts avec la plongée du soleil dans la mer occidentale. Dans une liturgie baptismale syriaque, on trouve la prière : « Jésus a donc habité, ô Père, par ta volonté et celle du Saint-Esprit, dans trois demeures terrestres : dans le sein maternel de la chair, dans le sein de l’eau du baptême, et dans les cavernes pleines de deuil du monde souterrain. Rends-nous par là dignes d’être élevés du profond abîme vers les demeures de gloire de la noble Trinité. » La plongée de Dieu dans le baptême est la source et le modèle de notre élévation dans le baptême. Saint Ambroise l’exprime ainsi dans la prégnance de sa langue : « Unus enim mersit, sed elevavit omnes. Unus descendit, ut ascenderemus omnes. » Le baptême de Jésus agit par la mort de Jésus.

