Litteratura

Accueil > Shruti - Smriti > Javary : Le Tétragramme

CAHIERS DE L’HERMÉTISME

Javary : Le Tétragramme

Geneviève Javary

dimanche 20 juillet 2014

Extraits du CAHIERS DE L’HERMÉTISME.

Mais plus que sur ces catalogues des diverses manières de connaître, les kabbalistes chrétiens ont porté leur intérêt sur les Sefirot, qui sont au nombre de dix. « Ce sont les dix noms divins que nous mortels concevons de Dieu. Ce sont noms d’essence, de personne... » (Ibid., p. 246). Certains ont voulu y voir des attributs de Dieu « qu’ils soient négatifs, positifs, absolus, relatifs ou connotatifs » (Ibid., p. 247). Ces dix Sefirot, ou numérations, ou mesures sont généralement divisées en deux séries : la première, qui comprend les trois Sefirot supérieures, Keter, la Couronne, Hokma, la Sagesse, Bina, la Prudence ou l’Intelligence, a souvent, comme nous le verrons, été comparée à la Trinité des chrétiens. La deuxième série, appelée « édifice », évoque davantage les attributs de Dieu : Clémence, Sévérité, Beauté, Triomphe, Louange, Fondement, Royaume (Ibid., p. 246) [5]. « Au-dessus de la Couronne (Keter) se situe l’En-Sof (Infinitude) et c’est l’abîme » (Ibid.).

Or, cette partition de Dieu en dix Mesures, si paradoxal que cela paraisse, ne rompt pas l’unité de Dieu ; car comme pour les autres noms de Dieu, tout, en fin de compte, revient à nommer le Tétragramme, donc à affirmer que Dieu est Un et son Nom Un :

"Ils (les kabbalistes) exposent cette question compliquée, et ils ramènent et réduisent presque tout l’Ancien Testament à ces dix Sefirot, puis au moyen de ces dix numérations aux dix noms de Dieu et à l’unique Tétragramme (Ibid.)."

Pour préserver cette unité ils utilisent d’ailleurs souvent deux images : celle de l’arbre séfirotique, et celle de l’homme : les Sefirot devenant, selon le cas, membres du corps humain ou branches de l’arbre.

En ce qui concerne l’En-Sof, certains pensent qu’il fait partie de l’arbre séfirotique, d’autres qu’il le domine. Voici la solution proposée par Reuchlin, qui suit le Bahir, sur ce difficile problème :

"Il est écrit en effet dans le Bahir : il n’y a pas de principe, si ce n’est la Sagesse. A quoi il me semble avoir bien répondu en disant que l’Infinitude elle-même des trois plus hautes numérations de l’arbre de la Kabbale, que vous avez l’habitude d’appeler les trois personnes divines, est essence absolue, puisqu’elle est retirée dans l’abîme des ténèbres, immanente et en repos, ou comme on dit n’ayant égard à rien. Aussi l’appelle-t-on Rien, ou Non-Être et Sans Fin, c’est-à-dire En-Sof, parce que nous, qui sommes frappés d’une telle pauvreté d’intelligence à l’égard des réalités divines, nous ne jugeons de ces réalités qui n’apparaissent pas, pas autrement que de celles qui ne sont pas. Mais quand il se présente en sorte qu’il est quelque chose et subsiste réellement, alors VAleph ténébreux se change en Aleph lumineux (Ibid., p. 248)."

Ces trois premières Sefirot, que, dit le juif Simon s’adressant au chrétien Reuchlin, « vous avez l’habitude d’appeler les trois personnes divines », ont particulièrement retenu l’attention de Reuchlin.

La première Sefira, Keter, souvent symbolisée par Aleph, la première lettre de l’alphabet, en s’associant à Beth, la deuxième lettre, celle qui lui est la plus proche, devient AB, mot hébreu qui signifie père, père de toute génération et production :

"...Keter, c’est-à-dire la Couronne du règne de tous les mondes, est la source sans fond et Ab ha-Rahamim, le père des miséricordes, dont le mystère est qu’il scelle Ehieh par Emeth, c’est-à-dire l’essence par la vérité (Ibid., p. 247)."

Si Keter peut évoquer le Père, Hokma présente bien des analogies avec le Fils (Ben en hébreu) ; Beth s’associe à la lettre Nun et « engendre ainsi Ben, le Fils, qui est la première production de la Déité » (Ibid., p. 249). Le Fils, qui est « principe de l’altérité », est donc celui « par qui toutes choses ont été faites ». Comme le Verbe, de la Trinité chrétienne,

Hokma, la Sagesse, est à la fois premier-né et principe, même si cela peut paraître étonnant au premier abord.

La troisième des Sefirot supérieures, Binah, l’Intelligence, est souvent assimilée au Saint-Esprit de la Trinité chrétienne. Nous reviendrons sur cette Sefira dans la deuxième partie de cet article, car elle a souvent été nommée Sekina par les kabbalistes, et l’étude de la Sekina dans la Kabbale chrétienne fera l’objet de cette deuxième partie.

De même que les chrétiens affirment que Dieu est Un et Trois, les kabbalistes « affirment que les trois premières numérations kabbalistiques Keter, Hokma et Binah sont une seule couronne du plus grand Roi... » (Ibid., p. 297).


[5Les noms en hébreu sont Hesed, Gebura, Tiferet, Nezah, Hod, Iesod, Malkuth (Ibid., p. 246-247).