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Dante. Visionnaire de l’Éternité

Romano Guardini : L’ange dans la Divine Comédie (I)

Trad. Jeanne Ancelet-Hustache

lundi 17 novembre 2008

Extrait de « Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) , visionnaire de l’éternité », par Romano Guardini. Trad. Jeanne Ancelet-Hustache. Seuil, 1962

Un mouvement puissant passe à travers l’œuvre, mais il n’a pas son origine dans la volonté personnelle du voyageur lui-même ou, plus exactement, il a aussi son origine en elle, mais seulement parce qu’il l’a d’abord dans la volonté divine.

L’événement commence au moment où Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) lutte contre des difficultés mortelles. Après la mort de Béatrice, il n’est pas resté fidèle au commandement sublime que l’amour de Béatrice signifiait pour lui. Abandonnant cette image, il a aussi abandonné la sienne propre, et le sens de son existence menace de lui échapper. C’est la sombre forêt du premier chant. Il peut triompher du péril immédiat ; péniblement il parvient à sortir de la forêt. Mais les démons du mal qui s’opposent à lui de l’extérieur et qui, en même temps, se dressent aussi en lui-même, l’empêchent de gagner la montagne lumineuse, sommet de sa vocation. Alors apparaît Virgile qui est pour lui le maître de la poésie, lë créateur du mythe de Rome. Il apporte un message ; Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) ne peut atteindre par ses propres moyens la cime de la montagne : Dieu, Béatrice en Dieu, et son propre salut. Le mal s’interpose, il faut s’en rendre maître. Ainsi, le chemin ne mène à ce qui appartient le plus intimement à Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) que par le plus lointain détour : le monde. Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) doit parcourir toute l’existence telle qu’elle est dans l’éternité, il est vrai. Il cheminera à travers l’enfer, la montagne de la purification et l’ordonnance des cieux pour y rencontrer l’histoire et la vie humaine ; non plus encloses « en énigmes et symboles », mais jugées par Dieu et devenues par là manifestes.

Le message signifie grâce. Personne ne franchit de lui-même la frontière. Le tenter serait illusion ou magie. Seul peut le faire celui qui meurt ou à qui la vision en est accordée — cette vision qui doit être réalisée non seulement dans la contemplation, mais dans l’acte et le devenir intérieurs [1].

Ainsi, dès le premier instant, Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) est soumis à une direction et à un commandement. Pour lui, personnellement, la montagne est perdue, mais un messager arrive, lui promet le salut et l’invite à le suivre : Virgile (Enfer, I, 61-63 [2]).

Virgile raconte alors que, de son côté, il a reçu un messager : Béatrice (Enfer, II, 52-75), être supraterrestre, et cependant toute humaine ; plongée dans l’amour de Dieu et pourtant si attachée à son ami que ses yeux de bienheureuse se remplissent de larmes tandis que, « d’une voix douce et basse », elle parle de sa détresse (Enfer, II, 116). Béatrice est descendue dans l’abîme vers Virgile et l’a prié d’apporter son aide. Mais Béatrice non plus ne se met pas en route mue par son impulsion personnelle il gravit les degrés de la montagne purificatrice, où le voyageur voit le bien pénétrer dans l’être sous la forme de la pénitence. Après qu’ils ont franchi le mur de feu, Virgile le quitte : Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) est maintenant majeur et peut se justifier devant Béatrice (Purg., xxvii, 127-141). Après le gracieux interlude dans la liberté du paradis terrestre où Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) chemine avec Matelda qui est comme l’incarnation du jardin sacré (Purg., XXVIII, 37 — XXIX, 15, et XXXI, 91-105), un nouveau guide lui est donné : Béatrice le fait monter d’une sphère céleste à l’autre jusqu’à l’empyrée, lieu de la pure transcendance. Là, elle retourne à la place qui lui est propre et saint Bernard, le maître de la contemplation, marche à côté du voyageur (Par., XXXI, 55-69). Bernard demande pour celui qui est parvenu à l’accomplissement l’intercession de la reine des cieux ; grâce à elle, la suprême connaissance lui est donnée, connaissance qui, à son tour, ne s’accomplit pas sous la forme d’une percée venue de lui-même, mais par l’éclair qui frappe son esprit (Par., XXXIII).

Le mouvement du voyageur peut se poursuivre seulement parce que le mouvement de la grâce l’a prévenu et continue à le prévenir. Le mouvement du voyageur s’accomplit en chaque endroit à partir du mouvement de la grâce, sans que, cependant, le caractère du premier soit d’être seulement porté par l’autre ; bien plutôt, Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) lui-même demeure en ce mouvement propre jusqu’à l’extrémité de ses forces.

Le voyage part de la terre et a le ciel pour but. Une belle évocation montre Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) qui, peu avant de franchir le suprême passage, voit la terre s’étendre bien loin au-dessous de lui (Par., XXII, 133-153). Toujours le point de départ reste sensible. Toujours c’est une réalité historique qui l’entoure, mais qui, il est vrai, est entrée dans l’éternité. Sans cesse on sent la grande mutation des hommes passant du temps à l’éternité, car ceux que Dante Dante Dante, Alighieri (1265-1321) rencontre, innombrables, sont venus de la terre. Mais en même temps, le ciel va sans cesse au-devant du voyageur qui tend vers lui et l’y mène.

Cette avancée du ciel s’exprime de façon particulière dans ces êtres qui doivent spécialement nous occuper ici : les anges.


VOIR AVANT : Introduction

VOIR APRÈS : CHAPITRE II


[1Le concept de vision est fondamental pour l’intelligence de la Divine Comédie, mais il ne peut être discuté ici. Voir ci-dessous Préparation à Dante.

[2Dans les références, le premier chiffre, en caractères romains, désigne le chant, les chiffres suivants les vers.