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La connaissance et l’être
Frank : La connaissance et l’être (avant-propos)
Semyon Frank
vendredi 29 août 2014
Extrait de « La connaissance et l’être », de Semyon Frank, Aubier.
Après avoir montré, dans le chapitre h, l’insuffisance de toute théorie de la connaissance qui, en refusant à l’objet sa transcendance, aboutit à le destituer de sa solidité, de son indépendance, de sa fonction propre qui est de s’imposer au sujet connaissant, l’auteur nous invite, dans le chapitre m, à reconnaître que rien ne peut nous être « donné » dans l’expérience que sur le fond d’un « présent » à l’unité duquel tout donné est plus ou moins directement référé. De même qu’un trait d’une carte n’a de sens que par la carte entière, que le détail d’un paysage ne serait qu’un phosphène s’il ne tenait sa place, sa signification, sa valeur du paysage, qui lui-même se rapporte au monde entier, toute connaissance suppose (p. 87) une chose inconnue, transcendante, qui, dans son caractère de chose inconnue et non-donnée, est aussi évidente, primaire, immédiate que le peuvent être les données mêmes. Rien n’est plus près de nous que l’éloigné ; le plus clair, c’est le plus profond. Que, par conséquent, la conscience, ou, comme écrit Simon Frank, « la petite conscience », en entendant par là l’histoire vécue par le moi, ne puisse se suffire à elle-même pour constituer la connaissance, c’est la conséquence qu’en tire immédiatement le chapitre par lequel se termine la première partie. Non seulement l’être entoure notre connaissance, mais il la pénètre.
Cette analyse du connaître conduit à distinguer, par une abstraction qui ne doit jamais tourner au dualisme exclusif, deux zones de la réalité. La première en droit, la plus profonde, est celle où règne l’Un, l’Unité universellement originante, qui vient d’être découverte par l’intuition de la présence ; l’autre est celle de la connaissance notionnelle, qui porte sur les déterminations. Tandis que le chapitre v et le chapitre VI, traitant respectivement de la nature du lien logique et de la loi de détermination, sont employés à sonder le passage de l’Unité indéterminée aux principes et aux modes qui forment la trame des rapports logiques entre déterminations, les chapitres VII et VIII montrent dans l’intuition de l’Un l’origine du principe suivant lequel les catégories et les parties du savoir doivent se subordonner à l’Un et se coordonner entre elles.
La troisième partie nous amène de la connaissance logique et scientifique à la connaissance vivante. Un chapitre consacré à l’étude de l’opposition entre le nombre et le temps conduit à la dualité cognitive au-dessus de laquelle l’Un va être élevé, comme il doit l’être au-dessus de foute autre. — On l’exprime le plus simplement en montrant le moi à la rencontre du monde et du devenir. L’être du monde est idéel ; c’est un système de vérités éternelles : il déploie statiquement l’Un. Comme tel, il est soustrait à l’influence du temps : ni il ne s’engendre, ni il ne se corrompt. Par là il comporte quelque ressemblance avec l’Un ; il n’est pourtant pas l’Un lui-même ; il n’en est qu’un aspect, qu’une expression. Car quelle que soit l’immensité de l’être idéel, c’est un être fixé. Or non seulement il faut bien comprendre comment il peut y avoir le devenir, mais il faut aussi reconnaître que l’intemporel et le temporel ne peuvent se penser que par leur opposition. Il doit donc y avoir et il y a, en corrélation avec ce qui ne change pas, ce qui devient, le courant vécu de conscience, l’instable, l’historique, la suite des événements saisis, non dans leur intelligibilité, mais dans leur empiricité.

