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La connaissance et l’être

Frank : La connaissance et l’être (avant-propos)

Semyon Frank

vendredi 29 août 2014

Extrait de « La connaissance et l’être », de Semyon Frank, Aubier.

Ce qui importe, en effet, dans l’acte de pensée, ce ne sont pas les éléments qu’une analyse peut déceler dans son expression, c’est l’harmonie dans laquelle ils se trouvent fondus et, avant elle, l’inspiration dont elle découle. Une oeuvre intellectuelle n’est pas un total ; c’est un tout et plus qu’un tout, et l’unité complexe n’en est pas altérée lorsque la matière en change. C’est du même génie que Michel-Ange a marqué ses monuments, ses fresques et ses poèmes.

Ainsi considérées, les diverses expressions de la pensée de Simon Frank manifestent une seule et même inspiration. En opposition avec toutes les doctrines subjectivistes qui pensent déifier l’homme en en faisant par sa connaissance l’origine du monde où il vit, mais n’aboutissent qu’à le rendre étranger à la réalité en l’enfermant dans une représentation superficielle et fictive, il exprime et défend son inébranlable conviction que nous appartenons intimement au réel, que nous lui sommes consubstantiellement unis et que le fondement ultime de la connaissance est la révélation immédiate de son Principe suprême dans la connaissance vivante.

Aussi cet ouvrage sur La Connaissance et l’Être est-il rempli par l’éclat voilé d’une Toute-Puissance que nous ne connaîtrions pas si elle n’illuminait partout les déterminations, les « contenus », par la médiation desquels nous pénétrons jusqu’à elle. L’erreur du positivisme est de croire qu’on sait tout ce qu’il y a à savoir quand on saisit, soit la détermination d’objets définis, de termes, soit celle de rapports pensés, que l’on traite encore comme des termes. Ce ne sont que des phénomènes ; ils sont, certes, bien fondés, mais ils ne peuvent se comprendre, sinon hypothétiquement, du moins réellement, que par l’Inconnu dont ils sont les manifestations et qui est le seul objet de la métaphysique. C’est cet Inconnu, cet Autre, qui n’est pas le corrélatif du même, mais transcende l’opposition de l’Identité et de l’Altérité logiques, c’est cette Unité, comme telle, métalogique, que toute connaissance cherche, pressent, atteint, suppose, enfin aperçoit derrière toutes les déterminations qui lui servent d’objets définis. Ce que les sens, la connaissance notionnelle regardent, ce sont les choses et les concepts ; seul l’esprit voit ce qui est Premier.

Dans cette conviction, qui fait l’unité de l’ouvrage parce qu’elle fait celle de toute connaissance et de toute réalité possible, c’est par la réflexion sur le jugement que nous sommes introduits. Si ses contenus n’avaient d’autre garant qu’eux-mêmes, la connaissance Serait à la merci de leur fragilité ; car des contenus qui ne seraient pas enracinés dans l’objet ne seraient que des images psychologiques et subjectives. Il faut donc qu’ils soient ce qu’ils sont par l’objet, et c’est l’objet qu’à travers les contenus la connaissance prétend appréhender. Comme cet objet est, en tant que tel, autre que tous les contenus qu’il doit fonder, il faut l’appeler x, et c’est dans cet x qu’est ontologiquement fondée la raison pour laquelle un contenu doit être relié à un autre contenu, de manière à former la matière d’un jugement. Ce qu’il y a de synthétique dans la liaison ne fait que manifester ce qu’il y a de thétique dans l’immédiation par x, et des termes, et du rapport du jugement.