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La connaissance et l’être

Frank : La connaissance et l’être (avant-propos)

Semyon Frank

vendredi 29 août 2014

Extrait de « La connaissance et l’être », de Semyon Frank, Aubier.

Cette déception, qui a commencé, dès la fin du XIXe siècle, à se répandre dans les diverses classes de la société et y étend un malaise dont les troubles européens ne sont que les manifestations impulsives, est le milieu le plus propre à la résurrection de la métaphysique. D’un bout de l’Europe à l’autre, des hommes, indépendamment les uns des autres, retrouvent, au delà des contraintes matérielles et des abstractions juridiques, le sentiment de leur communauté avec l’Esprit universel. A rencontre du matérialisme, qui ontologise le non-esprit, et du positivisme, assez naïf pour croire que l’utilité et le plaisir suffisent à l’homme et assez partial pour considérer comme une maladie mentale tout effort vers l’Absolu, se définissent des doctrines qui, sous des noms différents, mais par des voies convergentes, reviennent au Principe réel qui nous illumine et nous inspire, si seulement nous ne nous détournons pas de lui par le refus de nous associer à sa bienfaisance. — Parmi ces hommes, l’un des initiateurs a été Simon Frank, qui, avant même la fin de la guerre mondiale, a publié le livre que nous mettons aujourd’hui à la disposition du public de langue française.

C’est un trait assez fréquent de l’histoire intellectuelle de la Russie qu’un renouveau de la spiritualité y émane des efforts concertés d’un groupe d’amis associés. De même que la musique russe, a été renouvelée au XIXe siècle par les « Cinq », un réveil métaphysique, inspiré par un sentiment commun de la pauvreté, intellectuelle et spirituelle, du matérialisme et du positivisme, a inspiré, dans les premières années du XXe siècle, un groupe de penseurs russes, dont certains ont été personnellement unis par une amitié spirituelle. Parmi eux, on peut nommer le théologien Boulgakoff, Lossky, dont des oeuvres ont été traduites en français, Nicolas Berdiaeff, devenu en France notre ami, et Simon Frank, que nous devons maintenant présenter à nos lecteurs.

Pour plus d’un de ces philosophes, l’idéalisme a servi d’intermédiaire entre les doctrines dont ils avaient reconnu l’insuffisance et leur pensée ultérieure, ontologique et religieuse. C’est ainsi que, après un travail sur la morale de Nietzsche, Frank a fait paraître, en 1902, dans une collection publiée par le groupe philosophique dont il vient d’être parlé, un ouvrage sur Les Problèmes de l’Idéalisme : son but était de frayer la voie à cet effort intellectuel pour dépasser le matérialisme et le positivisme, qui régnaient déjà dans l’esprit de beaucoup de Russes intellectuellement cultivés.