Litteratura

Accueil > Shruti - Smriti > Zimmer : ASPECTS DE LA PSYCHOTHÉRAPEUTIE HINDOUE

Approches de l’Inde

Zimmer : ASPECTS DE LA PSYCHOTHÉRAPEUTIE HINDOUE

Heinrich Zimmer

mardi 11 novembre 2008

Extrait de « Approches de l’Inde. Tradition & Incidences. » Dir. Jacques Masui Masui Masui, Jacques . Cahiers du Sud, 1949

La psychanalyse a fait de l’inconscient le pivot des méthodes psychothérapeutiques. La science a pris ainsi pour un de ses objets cette entité qui avait déjà eu sa place d’honneur dans le jeu psychologique des forces, du temps où Goethe Goethe Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) et les Romantiques firent par leurs œuvres un puissant contrepoids à la précédente période de Lumière. Dans les enseignements de Freud les processus inconscients apparaissent comme des forces diaboliques, tandis que dans la psycho-analyse elles se sont beaucoup plus développées dans la direction déjà suggérée par les Romantiques : elles sont devenues ce qu’on pourrait appeler les grandes forces démoniques, maléfiques et bénéfiques, claires et obscures, à la fois.

Il dépend maintenant de nous-de dégager le côté de l’inconscient qui deviendra visible. Cette partie de notre être rejetée et méprisée est de nouveau admise et réintégrée après une longue éclipse qui débuta avec la Renaissance et durant laquelle l’homme moderne se consacra exclusivement au culte de la pensée rationnelle et à la discipline consciente de. la volonté, désirant édifier, sur cette base une personnalité harmonieuse. Après s’être libéré des entraves du moyen âge, il avait besoin d’un puissant support moral, de manière à fortifier son être pour assumer les responsabilités de son nouveau comportement. Dès lors, la psychologie officielle de cette époque devait souligner la partie consciente de l’être par opposition à l’inconscient ; celui-ci, de par son fonctionnement irrationnel, ne pouvant assumer aucune responsabilité. Il demeura, par conséquent, ignoré et méprisé, sa sphère d’influence réduite à une part aussi minime et insignifiante que possible.

Dans l’Inde, cette liberté de l’homme moderne est inconnue. L’Hindou est personnellement responsable, car le Dieu des Védas punft le mensonge et l’incroyance, allant jusqu’à se venger des péchés commis dans les rêves. Aussi, l’inconscient occupe un vaste territoire dans le royaume de l’âme hindoue. En Occident, au contraire, sa redécouverte le fait paraître neuf et singulier — au point que. nous en sommes encore complètement bouleversés, et il s’en faut de beaucoup que nous ayons épuisé le sujet. C’est la raison pour laquelle l’esprit bourgeois du XIXe a qualifié de « diaboliques » l’inconscient et les méthodes psycho-analytiques. C’est aussi ce qui explique la manière diplomatique et attentive, presque mélangée de terreur, avec laquelle la psychologie analytique se réfère aux manifestations de l’inconscient. La contemplation de ces profondeurs nous donne le vertige... C’est en tout cas l’impression que nous retirons de l’examen des rêves et des dessins produits par les patients analysés et nous devons en conclure que ce sentiment correspond à l’état véritable de la psychologie de l’homme occidental qui se sent effrayé, nerveux, et timide vis-à-vis de ces forces dont il a longtemps essayé de nier l’existence.

L’Hindou connaît ce monde à fond. Il ne s’y noie pas. Au contraire, il y vit comme un poisson dans l’eau. Il n’a pas encore introduit dans ce domaine les sèches méthodes rationnelles ni les techniques de la science, qui privent notre monde de ses dieux alors qu’ils forment le contenu et le fondement de notre existence à un point tel que nier leur importance équivaut à nous faire passer pour fous ou complètement stupides. Les résultats de l’analyse des patients, en Occident, leurs dessins ou leurs visions, tels que les dangers, les serpents, les tigres rapaces, les flots débordants, les araignées venimeuses, etc.. sont bien connus de l’Hindou — ils font partie de son monde religieux. Il suffit pour s’en assurer, de jeter un coup d’œil sur l’extrême variété des symboles et des images que possède l’Hindouisme. Mais à l’opposé de nous, l’Hindou y trouve un grand nombre de choses inconnues à notre science et à notre technique. Les forces et les images qui habitent les profondeurs de sa nature inconsciente se répètent sans cesse sur les autels de sa demeure, les murs et la décoration de ses temples. Parfois elles s’offrent à lui sous une forme qui inspire la terreur et parfois elles sont déformées et caricaturées comme dans les énormes images bariolées que les fidèles promènent à travers les rues lors des processions annuelles. Ces célébrations ne sont pas de ridicules plaisanteries comme nos carnavals de Nice ou de Cologne ; elles représentent bien plus que cela. Elles satisfont le désir ardent de l’homme religieux qui voit enfin devant lui des choses qui depuis longtemps lui sont familières par les enseignements et les images mais tout à coup manifestées comme une réalité immédiate vis-à-vis de laquelle les fidèles se joignent dans une commune émotion. A cet instant peu importe si cette réalité lui est révélée de l’extérieur, d’en haut ou issue des profondeurs de son âme.