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Approches de l’Inde
Zimmer : ASPECTS DE LA PSYCHOTHÉRAPEUTIE HINDOUE
Heinrich Zimmer
mardi 11 novembre 2008
Extrait de « Approches de l’Inde. Tradition & Incidences. » Dir. Jacques Masui Masui Masui, Jacques . Cahiers du Sud, 1949
La mythologie hindoue s’occupe sans cesse de la bisexualité de la vie et, d’après elle, l’humanité aurait obtenu le feu procréateur grâce à l’union supernaturelle d’un mortel avec une déesse immortelle. Le mythe dit que pour apaiser le" désir ardent qu’elle lui inspire il reçoit le don du feu sous la forme de son propre bûcher funéraire qui le conduira vers elle, dans les cieux.
Dans la famille hindoue, habituellement très nombreuse, le conflit entre père et fils ne joue aucun rôle important. Généralement les mâles adultes vivent en communauté, partageant leurs biens et leurs revenus. Le père, au lieu d’être le chef tout-puissant, est mis sur le même pied que ses frères et fils. La plus jeune génération des frères, sœurs, cousins, tout ce petit monde actif est rattaché à la maisonnée des femmes, qui comprend mères, tantes et tout ce qui est de sexe féminin dans la famille, dont la grand’mère est le premier chef. Le père n’est donc pas le juge suprême et il ne peut non plus être considéré comme le chef spirituel, cette tâche incombant au Guru. Avec ce dernier le complexe d’Œdipe est exclu. Il est accueilli dans la maison avec une respectueuse déférence, il accomplit des rites bien définis et se fait richement rémunérer pour ses services. Il est l’incarnation de la sagesse sacrée, un « Shiva » incarné sous une forme humaine, et il semble impossible qu’on puisse entrer en conflit avec l’indispensable magie qu’il répand avec autorité.
La lutte pour la suprématie entre père et fils ne tient aucune place dans un mode de vie où, comme dans l’Inde, chaque individu, durant toute son existence et suivant son âge, a le devoir sacré d’obéir à quatre phases traditionnelles, strictement définies. Chacune de ces phases étant clairement caractérisée, la possibilité pour un membre âgé d’usurper la place revenant à un » membre plus jeune, au moment voulu, ne peut se produire.
Ces quatre étapes de la vie hindoue devaient être aussi scrupuleusement observées que la hiérarchie des castes créée par les dieux. Le devoir suprême du Roi, en tant que gardien de l’ordre divin, est de veiller à l’observance générale de ces deux systèmes qui gouvernent la vie. L’inégalité innée des talents et des chances, c’est-à-dire les principes hiératiques naturels, forment l’exemple sur lequel la structure morale et sociale du pays est érigée. La route n’est pas ouverte aux plus aptes, il n’y a pas de compétition en vue d’occuper une position plus importante, et la richesse seule ne suffit pas pour permettre à son possesseur d’atteindre un rang plus élevé. D’autre part, la naissance et une stricte observation du rituel dans le domaine de la vie religieuse ou ascétique, ainsi que dans les initiations, peuvent mener à une plus haute fonction. Personne ne peut choisir sa carrière Carrière Carrière, Jean-Claude , vu que la profession constitue une part évidente de l’héritage personnel et on ne peut pas plus échapper à son sort qu’à son sexe. La tâche suprême est d’essayer de rester parfaitement fidèle au rôle attribué à l’individu au moment même de sa naissance. Le mérite de l’acteur est de tendre à une harmonie parfaite du jeu, en se tenant strictement à son rôle sans empiéter sur celui d’autrui. Aux yeux de l’Hindou le monde est une pièce de théâtre aux actes innombrables dont la distribution va des dieux resplendissants aux plus infimes insectes.
Si nous contemplons l’immensité des concepts métaphysiques par lesquels l’Hindou exprime la vie de son inconscient, et à l’aide desquels il trouve une compensation aux laideurs quotidiennes de sa nature, les thèmes d’Adler et de Freud semblent plutôt insignifiants. Vus sous cet angle, ils apparaissent comme des plantes naines poussant sur un sol infertile auquel manque l’aspect métaphysique de la vie parce que l’inconscient n’est plus considéré que d’une manière négative. Dans l’Inde, les diététiques de la psyché tirent leurs origines d’une tradition sans âge qui a donné naissance à des lois sacrées, non écrites et à la sagesse desquelles on obéit aveuglément.
L’homme ayant abandonné sa personnalité extérieure, devenue un labyrinthe de devoirs et d’exigences à remplir, cherche son détachement et son vrai « moi » dans ces profondeurs que la psychologie occidentale perçoit dans l’inconscient collectif. Pour l’Occidental, l’inconscient apparaît comme un abîme. Pour l’Hindou, par contre, sa « propre psychologie apparaît comme un oignon, avec ses nombreuses pelures : l’une pour les sens, la suivante pour l’intellect, une autre pour le conscient, et pour finir : l’inconscient. Mais cela ne constitue que des couches : quand atteindra-t-on le noyau de la vie ? Dans la psychologie et la métaphysique hindoues le mot « soi » revêt une grande importance. L’Atman ne correspond pas au mot latin ipse, qui respire une personnalité imbue d’elle-même ; il correspond plutôt au mot self ou pronom réflectif, dans l’acception de : « atteindre son propre soi », « rentrer en soi ». Dès lors, l’essence même de la thérapeutie ascétique du Yoga peut être exprimée par l’idée du retour au cœur même de l’oignon, abandonnant les pelures extérieures pour atteindre le salut et l’unité. Le besoin d’une compensation est d’autant plus impérieux que les nécessités implacables et totales du système communal exigent la participation de chaque individu. Étant donné que tout son temps est pris par l’accomplissement de ses devoirs, l’Hindou n’a pas le loisir de se consacrer à ses propres besoins. Cela convient parfaitement aux masses et c’est pour elles que cette chaîne de rites a été créée. Mais il existe des individus isolés qui languissent de ne pouvoir jamais vivre leur propre vie. Ce sont ceux qui, de par leur nature, ne peuvent se réaliser entièrement qu’en vivant suivant leurs tendances. La collectivité hindoue ne s’intéresse pas à leur sort et cependant ce sont justement ces individus-là qui peuvent fournir à la collectivité ce qu’elle est incapable d’atteindre par elle-même, c’est-à-dire une conduite à travers les événements à venir.
Le médecin doit seconder son patient. Celui-ci, suivant le système hindou, est cet individu isolé qui, par besoin de sa nature, cherche son propre développement individuel. C’est pour lui qu’à été créé dans le cadre du système des diététiques hindoues de la psyché,’le Yoga, qui constitue une compensation au strict attachement à la communauté et la possibilité d’un complet détachement de celle-ci. Il atteint son but lorsque l’élève parvient à briser tous les liens humains et avant tout ceux qui le relient au reste du monde : sa propre personnalité dans toutes ses ramifications conscientes et inconscientes. Ce rigoureux régime archaïque du type monacal est destiné aux adeptes capables de parcourir complètement le cercle de la vie et d’atteindre le centre transcendant de leur être, leur demeure véritable.
Le Yoga est une méthode quasi inconnue de la psychologie occidentale. Selon lui, le conscient, aussi bien que l’inconscient, sous son aspect personnel et collectif, sont des couches extérieures qui doivent être écartées. Nous avons à vaincre la sphère des archétypes car le but final du Yoga, en tant que direction spirituelle, est la maîtrise de l’inconscient, qu’il se manifeste sous la forme bénéfique et vénérable des Dieux, ou sous l’aspect de démons menaçants.
Le disciple qui ne cherche pas à vaincre complètement ces couches profondes demeure en rapport constant avec les régions démoniques de son être en vertu des exercices de dévotions quotidiennes durant lesquels il visualise les manifestations divines ou, sur un plan inférieur, rend hommage à leurs images. Toutes ces forces et ces désirs inassouvis, cette libido, que la vie quotidienne de l’homme ne peut contenir dans ses étroites limites naturelles, trouve ici l’occasion de se déployer dans une sphère de beauté et de grandeur et de se projeter sur les images de la divinité. Elles se revêtent de splendeur et de dignité, rappelant sans cesse au fidèle que toutes ces forces divines ne résident pas seulement en lui mais qu’elles forment aussi le véritable mystère de son être : elles sont sa propre nature cachée qui se révèle à lui. Cela ressemble à une sorte d’enseignement préventif contre la formation de complexes autonomes, en d’autres termes contre la division intérieure qui est toujours reliée à une certaine concentration d’énergie.
Apparemment, l’Hindou, qui vit plus près que nous des régions inconscientes, est aussi plus exposé aux dangers qui menacent son ego par l’éruption des forces démoniaques. Les pratiques du yoga le protègent contre ces flots. Elles ne l’aident pas seulement à vivre en paix avec ces régions dangereuses, mais à transformer leurs forces destructives en puissances secourables.
La psychologie analytique dans toutes ses ramifications, comparée au système étendu et solide de l’enseignement spirituel hindou, apparaît comme un enfant par rapport à un adulte. Un grand nombre de problèmes de la psychothérapeutie moderne sont déjà éclairés par l’étude des enseignements hindous et deviennent plus saisis-sables par la contemplation de cet autre monde. Par la connaissance hindoue de la psyché nous commençons à nous apercevoir qu’il existe une relation très différente entre l’homme et son inconscient. Cela ne manque pas d’influer sur la situation actuelle de la psychologie et nous entrevoyons pour l’avenir de la psychothérapeutie occidentale un grand nombre de possibilités et de tâches dont les effets seront très étendus. Il n’est pas impossible qu’un de ces chemins mène vers une conduite consciente de l’âme. A l’aide de l’analyse et de l’observation des faits psychologiques recueillis, nous pourrions produire une méthode quelque peu similaire à celle de l’Inde mais née sur notre sol occidental et aboutissant à une sorte de diététique synthétique de la psyché.

