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PERSONNE ET ACTE

Wojtyla : La conception de la personne et de l’acte

Karol Wojtyla

samedi 2 août 2014

Extrait de « PERSONNE ET ACTE »

 Signification de la problématique personnaliste

L’ensemble des recherches et des analyses comprises dans cette étude reflète avant tout l’extrême actualité de la problématique personnaliste. Il serait difficile de nier la valeur fondamentale de cette problématique pour tout homme et pour l’ensemble toujours croissant de la famille humaine. Une réflexion poursuivie sur les diverses lignes du développement de cette famille sous son aspect quantitatif, ainsi que du développement de la culture et de la civilisation — avec toutes les inégalités et les drames de ce développement —, tout cela fait naître un besoin vivant de cultiver une philosophie de la personne. Il est difficile de se défendre de l’impression que la multiplicité des efforts cognitifs dirigés vers l’extérieur laisse loin derrière elle la somme des efforts et des résultats que l’homme concentre sur lui-même. Peut-être d’ailleurs n’est-ce pas le problème des seuls efforts et résultats d’ordre cognitif, lesquels, on le sait bien, sont très nombreux et toujours plus spécialisés. Peut-être est-ce simplement que l’homme attend toujours une analyse nouvelle plus poussée, et surtout une synthèse nouvelle qui ne cesse de se renouveler, tâche qui n’est pas facile. Celui qui a découvert tant de secrets de la nature doit être sans cesse redécouvert lui-même. Restant toujours, dans une certaine mesure, un « être inconnu », il demande toujours une expression nouvelle et plus développée de ce qu’il est.

En outre, étant, comme nous l’avons constaté ci-dessus, le premier, le plus proche et le plus fréquent objet de l’expérience, il est par là même exposé à l’usure de l’habitude. Il risque de devenir pour lui-même par trop « habituel ». C’est là un danger qu’il faut surmonter. La présente étude naît aussi du besoin de surmonter cette tentation. Elle naît de cet étonnement envers l’être humain qui, comme on sait, est la première incitation à connaître. Il semble qu’un tel émerveillement — qui n’est pas identique à l’admiration, bien qu’elle comporte quelque chose de cela — se trouve au commencement également de cette étude. L’émerveillement comme fonction de l’esprit se fait système de questions, puis système de réponses et de solutions. Grâce à cela, non seulement se développe la trame de la pensée sur l’homme, mais encore se trouve satisfait un besoin déterminé de l’existence humaine. L’homme ne peut perdre la place qui lui est propre en ce monde qu’il a lui-même formé [1].

Il s’agit d’atteindre la réalité humaine au point le plus essentiel, au point que désigne l’expérience de l’homme, et dont l’homme ne peut se retirer sans avoir le sentiment de s’être égaré lui-même. Entreprenant ce travail, nous avons conscience qu’il a été déjà bien des fois entrepris et qu’il le sera certainement encore bien des fois. Le lecteur identifiera facilement dans cette étude toutes les influences et tous les emprunts au grand héritage de la philosophie de l’homme que doit presque nécessairement avoir présente toute étude nouvelle sur ce thème [2].

Notre travail n’a pas été conçu à la manière d’un commentaire, et non plus d’un système. Il représente notre essai propre pour comprendre l’objet en cause, se proposant dans ses analyses de trouver une expression synthétique à la conception de la personne et de l’acte. Essentiel pour cette conception semble être avant tout ceci, que nous cherchons à comprendre la personne humaine pour elle-même, afin de répondre à ce défi que nous porte l’expérience de l’homme en toute sa richesse, ainsi que la problématique existentielle de l’homme dans le monde contemporain [3].


[1Il semble que cette formule exprime non seulement la question des fins auxquelles l’auteur compte faire servir cette étude, mais touche également au problème évoqué plus haut portant sur les priorités dans les relations réciproques entre théorie et praxis. Il s’agit ici également du sens comme tel de la connaissance philosophique et scientifique, auquel la présente étude souhaite apporter une contribution.

[2L’auteur a consacré beaucoup de temps à l’analyse de M. Scheler, en particulier de Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik. Neuer Versuch der Grundlegung eines ethischen Personalismus, Bern, 1966 (Franke) (ire éd., Halle, 1913). La critique de Kant contenue dans cette ouvre centrale de Scheler, pour nos investigations, est devenue à son tour, pour l’auteur, une occasion de repenser et d’accepter en partie certains éléments du personnalisme kantien. Il s’agit ici, en particulier, de son personnalisme « éthique », qui trouve à s’exprimer dans Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, ire éd., 1875. Dans l’édition complète de l’Académie des Sciences de Berlin : Kants Gesammelte Schriften, herausgegeben von der Königlich Preussischen Akademie der Wissenschaft, Bd. IV, Berlin, 1903, p. 387-483.

L’auteur considère la discussion entre Scheler (Die materiale Wertethik) et les perspectives kantiennes (Der Formalismus in der Ethik) comme un point de départ spécifique pour les réflexions élaborées en la présente étude sur le thème « Personne et Acte ». En effet, cette discussion, bien que concernant immédiatement la conception de l’éthique, approfondissait la conception de l’homme, en particulier la conception de la personne, que la philosophie — et aussi la théologie — hérite de Boèce, et a contraint à saisir et à exprimer ces conceptions de façon nouvelle.

On peut également observer une telle tendance dans les écrits de Roman Ingarden (la première édition de cette étude a paru avant que soit publié par Ingarden le débat Über die Verantwortung. Ihre optischen Fundamente, Stuttgart, Philipp-Reclam, 1970).

[3Au moment où il écrivait cette étude, l’auteur a participé aux travaux du Concile Vatican II, ce qui lui fut une impulsion pour ses réflexions sur la personne. Il suffit de rappeler que l’un des documents principaux de ce Concile, la Constitution pastorale Gaudium et Spes, non seulement met au premier plan la question de la personne et de sa vocation, mais exprime également la conviction du caractère transcendant qui est le sien. Cf. la proposition : « L’Église, qui, en raison de sa tâche et de sa compétence, ne s’identifie en aucun cas à la communauté politique, ni ne se lie à aucun système politique, est en même temps signe et garante du caractère transcendant de la personne » (Cf. Gaudium et Spes, 76).