Accueil > Shruti - Smriti > Ruysbroeck : L’âme et le corps
Œuvres de Ruysbroeck
Ruysbroeck : L’âme et le corps
Trad. de l’Abbaye de Saint Paul de Wisques.
dimanche 7 décembre 2008
LE LIVRE DES DOUZE BÉGUINES
Le troisième mode qui vient ensuite, c’est que nous aimions Dieu de toutes nos puissances, Dieu est un dans sa nature, et cette nature est féconde selon la Trinité des personnes ; sans cesse il s’écoule, vit et agit selon la distinction des personnes ; il connaît et il aime ; il crée et façonne le ciel, la terre et toutes les créatures. Mais éternellement et sans trêve il se retire en lui-même, dans le repos absolu de son essence, par l’amour éternel, dans l’unité du Saint-Esprit : c’est là qu’au-dessus de nous-mêmes nous sommes un seul amour et une seule jouissance avec lui. En répandant la grâce, il nous rend semblables à lui ; et en rentrant en lui-même il nous recueille avec lui dans l’unité de son amour. Là le Saint—Esprit, c’est-à-dire l’amour éternel de Dieu, nous ordonne d’aimer de toutes nos forces, afin que nous puissions devenir un avec Dieu en amour. Pour cela il faut que le cœur et les sens, l’âme et le corps, et toutes nos puissances, tant spirituelles que corporelles, et tout ce que nous sommes, se recueillent en nous et nous élèvent au plus haut sommet que nous puissions atteindre là nous rencontrons l’unité de tous les esprits aimants dans la fontaine de la grâce de Dieu, qui est la plénitude de tous les dons et tout près de l’amour éternel de Dieu. Là tous les esprits aimants constituent une unité spirituelle dans laquelle Dieu vit par sa grâce, donnant à tous ceux qui aiment grâce et miséricorde selon que chacun en est digne. Nul ne peut découvrir ni goûter cette unité sinon ceux qui emploient toutes leurs puissances en vue de cet amour tranquille qui ressemble à celui des Séraphins ; car il s’élève au-dessus de toutes les hiérarchies en pratiques d’amour et il constitue la plénitude de toutes grâces, où commencent et s’achèvent tous les exercices de vertus. CHAPITRE XXVI
Nous croyons et confessons de Dieu tout-puissant, notre Père céleste, qu’il est par nature être éternel, vie, connaissance et volonté ; et que c’est par libre volonté, et moyennant sa sagesse éternelle, qu’il a créé toutes choses de rien, d’après l’exemplaire qu’il est lui-même. Or, il nous a donné, quant au corps, une vie mortelle comme aux animaux, car ce corps est composé de divers éléments. Et il nous a donné selon l’âme une vie immortelle, semblable à celle des anges au-dessus du firmament. Voyez, Dieu a donc créé l’homme avec deux natures qui ne se ressemblent pas et se contrarient l’une l’autre : c’est l’âme et le corps, la chair et l’esprit, l’animalité et la raison, la vie et la mort, le temps et l’éternité, une nature qui meurt sur la terre et une autre qui vit au ciel, inférieure à Dieu et semblable à lui, image de Dieu et sa figure. Et Dieu est lui-même éternel et incréé, sa propre béatitude et celle de tous ceux qui l’aiment. Il est aussi la superessence de tous les êtres et la félicité de tous les bienheureux, le premier objet des esprits élevés dépouillés d’images. CHAPITRE XXIX
Vient ensuite la troisième balance d’amour, qui met comme trois divisions en toutes choses, le temps, la vie et la substance, et c’est notre vie ici-bas. Voyez donc avec attention comment Dieu s’est mis à notre service, nous a aimés et comblés d’honneurs dans le temps de trois manières. Dès le commencement il a créé l’homme à son image et à sa ressemblance. C’était un grand service, un honneur encore plus grand, mais son amour l’emporte sans proportion au-dessus de tout. Puis au milieu des temps il est venu personnellement en notre nature, nous a servis et a vécu pour nous, nous enseignant et nous aimant jusqu’à la mort de la croix. Pour nous il a voulu mourir par amour, et en sa propre mort il a immolé la nôtre causée par le péché. Puis il est ressuscité dans sa gloire, il est monté vers son Père et il a envoyé son Esprit qui vit et demeure en nous, et en qui nous sommes recréés et renouvelés dans le temps de la grâce ; et il nous a donné et livré sa chair et son sang en nourriture et en breuvage, et si nous le servons, l’honorons et l’aimons, nous pouvons le goûter. Enfin il nous a promis en toute fidélité qu’il reviendra le dernier jour, c’est-à-dire à la fin du monde, avec ses anges, en grande puissance. Alors il nous ressuscitera glorieusement selon l’âme et le corps, et il nous conduira avec lui vers son Père, où nous nous réjouirons et régnerons avec eux deux dans l’unité du Saint-Esprit, éternellement et sans fin. CHAPITRE XLVI
De plus Dieu veut que nous aimions avec lui tout ce qu’il aime. Dieu a créé le ciel et la terre et tous les êtres ; et par là il s’est mis au service de notre vie mortelle ; et il veut que par l’âme et le corps et par toutes les créatures dont nous usons pour notre besoin, nous lui donnions actions de grâces, louanges et service pour sa gloire éternelle : et c’est là chose juste et équitable. Il nous a tant aimés qu’il nous a donné son Fils unique pour être homme avec nous tous. Celui-ci s’est humilié jusqu’à la mort et il nous a élevés jusqu’à la vie éternelle. C’est ainsi que le voulait son Père céleste, et sa raison ne pouvait pas vouloir autrement que Dieu. Et tous ceux qui veulent avec lui tout ce qu’il veut, sont nés de Dieu et disciples du Christ. Or Dieu veut sauver tous les hommes pour la vie éternelle ; mais ceux qui méprisent sa doctrine et son précepte, en vivant en opposition avec lui par leurs péchés, sont nés du conseil du diable. CHAPITRE LXIX
Le premier mode est l’amour ressenti pour Dieu il méprise le plaisir et la satisfaction, et tout ce qui est désordonné dans la pratique de l’amour de Dieu, et il établit l’homme dans une humble démission et un déplaisir de soi-même, et il le fait crier avec un désir ardent : « Seigneur, aidez-moi, afin que je vous aime. » Plus il crie et désire, plus il aime ; plus son désir d’aimer est grand plus il y trouve de goût, et ce désir et ce goût lui pénètrent le cœur et les sens, l’âme et le corps. CHAPITRE LXXVII

