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Approches de l’Inde
Herbert : INTRODUCTION A LA MYTHOLOGIE HINDOUE
Jean Herbert
lundi 3 novembre 2008
Extrait de « Approches de l’Inde »
Par le fait même que l’homme participe plus ou moins activement de tous les plans, il est exposé à des contacts, à des relations avec les êtres qui habitent des mondes situés dans l’un ou l’autre de ces plans. Nous verrons plus loin comment peuvent s’établir ces relations selon le genre d’attitude que l’homme adopte envers dévas et asuras. Mais il faut dire ici quelques mots de la situation de l’être humain par comparaison avec la leur dans la grande hiérarchie, complexe et mouvante, du cosmos. Une indication claire nous est fournie par les innombrables cas cités dans les Écritures, où des êtres appartenant à l’un quelconque de ces mondes sont appelés à prendre leur prochaine naissance dans un autre par l’effet accumulé de leurs actions, de leur karma. D’abord nous voyons beaucoup d’êtres divins, quelquefois même certains des plus hauts, condamnés à prendre naissance humaine en expiation de certains péchés, les huit Vasus parce que l’un d’eux avait volé la vache d’un sage, Indra dans cinq de ses incarnations successives parce qu’il avait été orgueilleux, Dharma parce qu’il avait permis qu’un sage fût empalé à la suite d’une erreur judiciaire.
D’autre part, certains hommes, en raison de mérites exceptionnels, sont appelés à remplir pendant une période plus ou moins longue les fonctions d’Indra, comme le roi Nahusha, de Varuna, etc.
De même, de noires actions commises par des humains peuvent amener ceux-ci à revêtir des corps démoniaques, de râkshasas, de pishâchas, etc.
Et même des dieux mineurs, gandharvas, apsaras, etc., peuvent être contraints pour les mêmes raisons à devenir des asuras pendant un certain temps.
Mais ce qui est plus fréquent encore, c’est que des hommes aillent récolter dans un certain paradis, ou dans un certain enfer, des résultats de leur bon ou de leur mauvais karma. Là, sans devenir à proprement parler des dieux ou des démons, ils partagent beaucoup des attributs de ceux-ci.
On pourrait donc être tenté de dresser d’après ces innombrables cas une sorte de hiérarchie. Ce serait fallacieux, et cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’état des plus grands dieux n’est pas le plus haut auquel puisse aspirer l’homme. Le sage qui vise à la plus haute libération n’accepterait pas de devenir Indra [11] ; Et il a des pouvoirs qui le rendent pour les dieux un rival souvent jalousé et un adversaire redoutable. Ensuite, parce que si tel homme [12] est inférieur à telle divinité sur tel ou tel plan (force physique, pouvoir psychique, compréhension spirituelle, connaissances diverses), il peut fort bien en même temps lui être supérieur sur d’autres plans. Tout comme des hommes entre eux. Et en réalité, il n’y a pas de raison évidente pour qu’il en soit autrement — à part notre désir spécifiquement occidental de compartimentation et de classification.
D’ailleurs il n’y a pas non plus dans l’hindouisme cette délimitation nette et infranchissable qui fait de l’homme et de Dieu deux entités totalement différentes. On passe de l’un à l’autre par une série continue d’échelons presque insensibles. Il n’est pas seulement vrai que « Tu es Cela », que l’Atman est Brahman, que le jîva est Shiva (cette identité entre le microcosme humain dans sa perfection essentielle et le Divin dans sa forme suprême, totale et absolue est un axiome fondamental de l’hindouisme), et que l’homme arrivé à la suprême sagesse est supérieur à tous (ou presque tous) les dieux. Il y a aussi ce fait que le phénomène de l’Incarnation divine n’est pas nettement délimité. A côté de l’incarnation totale (pûrnâvatâra) comme Krishna, il y a des incarnations partielles (pour 12, 6, 4, 2 et même 1 seizième), parfois simultanées (Râma et ses trois frères), parfois éloignées dans le temps (selon certains signes, Chaitanya et Râmakrishna) ; il y a aussi des incarnations d’incarnations (le Bengale en connaît plusieurs de Krishna), des incarnations d’une seule énergie particulière d’un dieu (les vibhûtis) [13], ou même d’un aspect de l’une de ces énergies (les amshas). Et dans un sens plus vaste on peut dire que tout être humain, tout être vivant, et même tout ce qui existe, est une incarnation divine.
Râmakrishna, à qui l’on ne saurait refuser en la matière une certaine compétence, disait : « Il y a des gens qui disent qu’il y a dix Avatars, d’autres qu’il y en a vingt-quatre et d’autres encore disent que les Avatars sont innombrables. Partout où il y a une manifestation spéciale de la puissance de Dieu, il y a Avatar. Voilà ce que je crois » [14]. Et Râma disait à son frère Lakshamana : « Là où tu verras une dévotion exubérante, sache que je suis présent » [15].


[11] « La position la plus élevée, même celle de Brahmâ, apparaîtra comme une chose sans valeur ». L’Enseignement de Râmakriihna, Paris, Albin Michel, 9e édition, n. 1109.
[12] À un point donné de son évolution.
[13] Voir Shrî Aurobindo, la Bhagavad-Gîtâ.
[14] L’Enseignement de Râmakrishna, n. 1047.
[15] Ibid., n. 1400.