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Nouvelle initiation philosophique

Gaboriau : Langage et logique de l’argent

Phénoménologie de l’existence

dimanche 16 juin 2013

Extrait de Florent Gaboriau Gaboriau Florent Gaboriau (1921-2002) , "Nouvelle initiation philosophique", Tome III.

L’argent n’est donc pas sans une signification rationnelle à laquelle il convient de prendre garde, pour un juste équilibre de la vie. Les pauvres nous donnent souvent l’exemple de cette sagesse, lorsque justement, sans jalouser personne, ils ont appris à ne rien mépriser : ni l’argent ni le pain. Ce qui a valeur de symbole — symbole de vie — ils ne le jetteront pas à la rue. L’argent, comme le pain, c’est pour eux de l’existence ; et ils ont raison, dans une mesure qu’il convient justement de peser chaque fois. L’argent, c’est pour une part une existence déjà vécue ; en ce qu’il représente d’effort, de capital, de coût réel dans la dépense existentielle d’où il émane. C’est d’autre part, une existence non encore vécue : une existence en espèces, dont il vous appartient, de choisir la réalisation en nature. Que ferez-vous de ce langage ? L’argent parle, dans une vie, avec moins d’équivoque que ne le fait l’éloquence, ployable à tous usages. L’usage que vous faites de l’argent dit clairement, sans rhétorique, le sens de votre vie.

Le drame — l’action existentielle — est tel cependant que d’authentiques valeurs d’existence ne sont pas « réalisables » à partir de telles espèces. Que ne donnerait-on pas, si l’on pouvait, pour transformer au prix que l’on voudra, les billets en « existence », et demeurer en vie ! Mais on n’achète pas cette valeur : quoi qu’il en coûte, finalement, on la perd. Le signe amassé reste inefficace. L’argent, ici, n’est pas une rançon suffisante.

Cela veut dire que si l’homme doit vivre un jour indéfiniment heureux, sa vie nouvelle aura été payée d’une autre façon qu’à prix d’argent. Mais comment penser, sous quelle forme représenter cette infiniment précieuse rédemption ? Nous n’en avons aucune idée, tant du moins que nous ne savons pas « ce qu’est » l’homme, la profondeur de sa perte, et le prix donc de sa rançon.