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Les Idees Ethiques, Sociales et Politiques de Paracelse
Fussler : L’inscription de l’ordre humain dans l’ordre naturel renvoie à la puissance abyssale de Dieu
Jean-Pierre Fussler
vendredi 25 juillet 2014
Extraits de « Les Idees Ethiques, Sociales et Politiques de Paracelse (1493-1541) et leur Fondement », de Jean-Pierre Fussler
Dieu est la profondeur toujours présente mais insaisissable de la nature. A la fois connue par ses œuvres qui font signe et mystérieuse dans son activité, la déité de Dieu (Gottes Gottheit n’est pas déterminable. Dieu n’est pas chose parmi les choses. C’est pourquoi il n’y a aucune théologie rationnelle chez Paracelse. La déité est ce qui fait qu’il y a déploiement, maturation, fructification à tous les niveaux. Elle est aussi ce qui fait que l’homme est installé dans le devoir, dans l’obligation morale.
Pour penser cela, toutes les comparaisons sont également autorisées et également insuffisantes. Ce que nous pensons être des modes de la révélation de la déité ne sont que des modes d’approche de celle-ci. Dieu est dans le monde à la fois comme l’auteur est dans son œuvre et comme l’esprit ou l’âme est dans le corps.
La « philosophie de la nature » de Paracelse est, comme l’a montré Lucien Braun, la découverte de la distinction entre nature et étant naturel. « Ce qui fait signe dans la chose... n’est pas lui-même une chose, mais la trace de la puissance de transmutation qui installe toutes les choses dans une ambiguïté foncière qui fait que tout est soi-même et, en même temps, autre chose ». C’est pourquoi le terme de nature sans cesse utilisé est toujours déterminé provisoirement ou négativement, lorsque Paracelse ne refuse pas tout simplement la détermination.
Nous ajouterons que la correspondance entre les prédicats qui qualifient la nature et ceux qui qualifient Dieu est remarquable. « Dieu est indicible (unaussprechlich), merveilleux (wunderbarlich) », « Dieu a des centaines de milliers de visages ». Dieu est, en un sens, un autre nom pour cette invisible force qui habite toutes les formes visibles. Mais il n’habite pas seulement les étants naturels, il habite aussi l’homme. Et il est au-delà de ce qu’il habite.
Les formulations d’allure panthéiste doivent être lues dans la perspective qui a été tracée. Dire de Paracelse qu’il est panthéiste, c’est réduire sa philosophie. Certes, « (Dieu) est... en tous les lieux », sa maison est la terre entière ; ou encore :
« il n’y a jamais eu de force qui n’ait été Dieu lui-même ; pas Dieu en personne, certes, mais sa force. C’est pourquoi Dieu le Père, dans ses forces, a été naturel, c’est-à-dire : dans la nature ».
Mais Paracelse ajoute à cela un « panthéisme éthique » : « Dieu est en nous », il ne demeure pas dans les temples de pierre : le cœur de l’homme est le tabernacle dans lequel il séjourne. Cette affirmation, cependant, est conditionnelle et nous renvoie immédiatement à la pratique, car notre auteur précise que Dieu n’est pas en nous si nous suivons les « loups » et si nous acceptons la « mauvaise autorité », le pouvoir pervers.
Par ailleurs, on ne peut séparer les formules panthéistes de celles qui sont panenthéistes : « tout est en Dieu », ou, pour l’aspect éthique : « celui qui agit, fait ou œuvre selon la volonté de Dieu, celui-là demeure en Dieu », nous devons « avoir notre demeure en Dieu pendant la vie ».
Enfin, Dieu reste puissance absolue. Il est éternel et immuable. L’éternité n’appartiendra d’ailleurs, dit souvent Paracelse, qu’à ceux qui vivent et agissent selon la volonté divine. Il reste en retrait par rapport à tout ce qui procède de lui. Il est présent et absent ; mieux : sa présence est tâche, tâche infinie qui est signifiée par le décalage entre panthéisme et panenthéisme car « il est vrai que Dieu est en nous et il est vrai qu’il est en-dehors de nous ». Le Christ, pour Paracelse, figure ce décalage et l’ouverture qu’il instaure. C’est « le fils (qui) est en nous, le père qui est au-delà de nous ». Il nous montre le chemin à suivre et nous donne le courage de le suivre ; depuis sa mort, par les sacrements, il est réellement dans notre cœur, même s’il n’est plus devant nos yeux. Il est ce qui rend possible la non-réduction de l’homme à ce qu’il est et l’avènement de ce qu’il n’est pas encore. Mais ce n’est qu’une possibilité : le diable, le mal est aussi présent, notamment dans les sociétés qui détournent les hommes de l’essentiel. C’est dire finalement que l’être de l’homme se révèle dans son histoire. Dieu désigne le fond duquel procède le sens de l’action morale, donc l’épiphanie du sacré ; dans les processus de la nature il veut nous voir lire les signes qui autorisent l’espoir de la reconnaissance de cette épiphanie.
D’où les multiples métaphores et comparaisons qui veulent rendre compte de la parenté profonde qui unit la fructification naturelle, la maturation morale et les progrès socio-politiques vers l’ordre voulu par Dieu. Car à tous les niveaux, en définitive, on peut discerner un grand mouvement de perfection pour Paracelse. C’est ainsi que l’on peut lire l’histoire individuelle et l’histoire collective, la maturation morale et le mûrissement des conditions socio-politiques, processus qui autorisent l’espoir de l’avènement d’un monde plus humain.
Voilà pourquoi nous devons être dans le souverain bien, dit Théophraste, « comme un poisson dans l’eau, une racine dans la terre, l’or dans le minerai ». L’homme progresse moralement comme le poisson vit et multiplie, comme la racine se développe, comme le métal croît ou fleurit. Le Christ qui est le souverain bien enrichit la terre que nous sommes, y dépose le bon germe.
« Comme un arbre se conserve grâce à la terre, verdit, croît et donne ses fruits, ainsi nous devons agir... de sorte que rien ne procède de nous ni ne croisse en nous qui ne soit enraciné dans le souverain bien et conservé par lui. Ce qui sera planté là, personne ne pourra le déraciner, aucune intempérie ne pourra lui nuire ».
C’est dire que la moralité est un résultat qui se révèle non seulement dans la maturation de l’individu, mais aussi dans l’histoire collective ; la Parole de Dieu ne peut « être reconnue et trouvée d’un coup, mais seulement avec le temps ». En ce qui concerne la personnalité, elle doit « verdir comme les hêtres et les chênes », « comme un cèdre du Liban ». C’est cette croissance qui atteste ici la présence du Paradis. Les fruits sont les actions des hommes qui déploient généreusement leurs dons dans l’amour des autres, « comme la terre au printemps fait pousser et fleurir arbres et jardins ». Cette « régénération » représente le processus intérieur par lequel les hommes doivent retrouver l’esprit conforme à l’ordre voulu par Dieu.

