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Les Idees Ethiques, Sociales et Politiques de Paracelse

Fussler : L’inscription de l’ordre humain dans l’ordre naturel renvoie à la puissance abyssale de Dieu

Jean-Pierre Fussler

vendredi 25 juillet 2014

Extraits de « Les Idees Ethiques, Sociales et Politiques de Paracelse (1493-1541) et leur Fondement », de Jean-Pierre Fussler

Les progrès vers les conditions extérieures qui définissent cet ordre sont eux aussi pensés dans leur parenté avec les processus naturels. En effet, toutes choses périclitent et passent. L’homme, par exemple, vieillit. De la même manière voit-on dans l’histoire vieillir et mourir certaines institutions, certains ordres — « des gouvernements sataniques » par exemple — qui peuvent constituer des obstacles à l’ordre voulu par Dieu. « Chaque chose croît et décline selon son rythme : il en va de même du pouvoir ». Mais le printemps et l’été succèdent à l’hiver : ainsi la société juste succédera aux injustices présentes. Elle peut être pensée comme une « étable », « un troupeau de brebis » si l’on entend par là une société unie, où règne l’égalité entre les hommes et les peuples. On voit que le rapprochement entre phénomènes sociaux et phénomènes naturels montre que, comme il y a toujours du nouveau sous le soleil, le temps passé ne peut fonder ou limiter le droit présent qui doit procéder de la volonté divine. Elle exprime la nécessité d’un changement permanent ayant un sens. En effet, la disparition des obstacles est interprétée par notre auteur comme un processus irréversible. Une fois de plus les phénomènes naturels fournissent le modèle permettant de penser les progrès socio-politiques. Ecoutons Paracelse :

« Voyez comme le lait caille et comment il se transforme en une masse de fromage blanc. David utilise ici métaphoriquement l’image de ce fromage... Ce dernier ne se transformera plus en lait, mais il restera fromage et petit-lait. Comprenez par là que les impies... ne se relèveront plus et resteront au contraire figés comme une masse. Car ces êtres impies sont aussi inutiles que du lait caillé. Cela signifie : le fromage blanc doit être mangé et digéré, c’est-à-dire finir en excréments. De la même manière tout ce qu’ils font n’est que du fromage blanc qui ne peut servir qu’à être digéré, entendez par là : toutes leurs lois disparaîtront comme des excréments ».

Les processus de dégradation et de digestion des produits organiques doivent rassurer l’homme sur le caractère nécessaire et inéluctable des transformations historiques rapprochant la société présente de l’ordre souhaitable. Mais en même temps, on voit qu’est à nouveau souligné le temps propre, spécifique de chaque transformation. « Chaque chose s’en va lorsque le temps de sa fin arrive. La fin a son heure propre, et ni avant ni après cette heure on ne peut changer quoi que ce soit ».

Ainsi, l’histoire dans sa totalité est « temps et mûrissement (Reifigung) de la parole divine » et elle débouchera — dit Paracelse en des termes qui rappellent Joaquim de Flore — sur le royaume de l’Esprit Saint après celui du Père et celui du Fils. Nous serons totalement éclairés. Du même coup, le temps révèle progressivement le sens des prophéties comme il révèle la forme de l’arbre issu d’une graine indifférenciée : il faut donc interpréter les textes bibliques comme on interprète la nature, en tenant compte du temps avec lequel se révèle ce qui était celé. Si Dieu s’est caché dans le monde en laissant croire qu’il ignorait le mal ou même qu’il le voulait, c’est parce que l’épiphanie divine, pour l’homme, est inséparable du temps. Celui-ci procède de Dieu, mais ce dernier est ce qui, dans le temps, dépasse le temps. Si Dieu enfin est le dynamisme qui est au principe de tout déploiement, de toute maturation, mettant sans cesse et à tous les niveaux (nature, morale, politique) tout étant à distance de lui-même, alors, pour l’homme qu’est le « philosophe à la manière allemande », l’histoire est nature parce que la nature est histoire et que le temps est le champ du développement divin ; et cela autorise, si le « livre de la nature » est correctement interprété, l’espoir d’une déification du monde humain. L’existence morale et politique de l’homme occupe une place décisive dans ce développement qui dépasse le caractère éphémère de l’étant naturel.