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Origène et la philosophie

Crouzel : Les Stoïciens, vertueux, mais matérialistes.

QU’Y A-T-IL DE COMMUN ENTRE ABIMÉLECH ET ISAAC ?

samedi 26 juillet 2014

Extrait do Chapitre I, d’ « Origène et la philosophie », par Henri Crouzel. Aubier, 1962

Pour les Stoïciens Dieu est un feu corporel, les âmes humaines et les êtres célestes sont pareillement corporels. Ailleurs Origène contredit la conflagration au nom de sa propre doctrine de la restauration.

En effet elle n’est pas panthéistique et le Logos y respecte le libre arbitre de chacun : c’est librement qu’une âme reste logikè, dans une relation d’ordre surnaturel avec le Logos :

« Les Stoïciens disent que l’élément le plus fort l’emportera sur les autres suivant ses possibilités et qu’il y aura une conflagration, car tous les êtres se changeront en feu : mais nous, nous disons que le Logos prendra possession de toute la nature logikè, pour métamorphoser chaque âme en sa propre perfection, lorsque chacune, usant simplement de son libre arbitre aura librement choisi ce qu’elle aura voulu et sera établie dans l’état qu’elle aura choisi. »

Un autre reproche important concerne le matérialisme de la théologie et de la psychologie des Stoïciens. Ils « refusent les substances intelligibles (noetas) », probablement les idées au sens platonicien : ils disent que « ce qu’on comprend est compris par les sens et (que) toute compréhension dépend des sens ». Ce sensualisme est en harmonie avec leur conception de Dieu :

« Le Dieu des Stoïciens est corps : au temps de la conflagration il a la totalité de la substance pour hégémonikon : au temps de la mise en ordre il n’est qu’une partie de cette substance. En effet ils ne sont pas capables d’avoir une claire conception de la nature de Dieu comme tout à fait incorruptible, simple, non composé et indivisible. »

Dieu est feu : au temps de la conflagration il est seul à exister ; dans l’autre période il n’est qu’une partie de la réalité, car le monde subsiste avec lui. Pour le Portique Dieu est Pneuma, mais ce mot conserve le sens corporel de souffle :

« Ils disent que Dieu est esprit, qu’il pénètre toutes choses et contient tout en lui-même. »

Ces paroles n’ont pas chez eux le même sens que chez les chrétiens.

« La surveillance et la providence de Dieu traversent toutes choses, mais non à la manière de l’esprit des Stoïciens. La providence contient et embrasse ce dont elle s’occupe, non comme un contenant corporel, même lorsque le contenu est corps, mais comme une puissance divine, qui embrasse ce qu’elle contient. »

Les Stoïciens conçoivent donc Dieu à la manière d’un contenant corporel, tandis que le chrétien préfère l’image plus spirituelle d’une force. Il faut parler de même du Logos :

« Le Logos de Dieu, qui descend jusqu’aux hommes et jusqu’aux plus infimes, n’est rien d’autre qu’un esprit corporel : pour nous, qui nous efforçons de montrer l’existence d’une âme raisonnable, supérieure à toute nature corporelle, ainsi que d’une réalité invisible et incorporelle, on ne saurait concevoir comme un corps le Logos-Dieu, par qui tout a été fait, et qui atteint, pour que tout se fasse par le Logos (ou : raisonnablement), non seulement jusqu’aux hommes, mais jusqu’aux êtres qu’on juge les plus bas et qui sont gouvernés par la nature. »

Les philosophes du Portique rejoignent donc les partisans de l’éther parmi ceux qui disent que Dieu a « une nature corporelle, subtile et éthérée ».

Corporel et changeant, logiquement Dieu est corruptible : c’est une conséquence de la conception stoïcienne de la matière :

« Si tout corps matériel a une nature qui est par elle-même sans qualité, changeable, altérable, entièrement transformable et susceptible de recevoir les qualités que le Démiurge veut y mettre, il est nécessaire que Dieu, étant matériel, soit changeable, altérable et transformable. Ils ne craignent pas de dire que Dieu est corruptible puisqu’il est corps, un corps d’esprit (de souffle), surtout en ce qui concerne son hégémonikon. Mais, quoique corruptible, ils disent qu’il n’est pas corrompu car il n’a pas de corrupteur. »

Ils ne vont pas en effet jusqu’à dire que Dieu pourrait être corrompu : « cela leur paraît tout à fait absurde ». Et s’ils détruisent périodiquement l’univers, ils conservent Dieu, car il ne saurait exister de force capable de le corrompre :

« Pressés par la logique de leur raison, qui voit avec évidence que tout corps est corruptible, à tel point que, s’ils affirment Dieu corporel, ils le déclarent sans aucun doute corruptible, ils s’en sont tirés par une astuce verbale. Ils ont dit que Dieu était, certes, de nature corruptible, mais qu’il ne peut être corrompu, car il n’y a rien qui lui soit supérieur et qui puisse le corrompre ou le dissoudre. On peut citer bien d’autres inventions humaines, ourdies à force d’arguties dialectiques et de sophismes frauduleux. »