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Origène et la philosophie
Crouzel : Les Stoïciens, vertueux, mais matérialistes.
QU’Y A-T-IL DE COMMUN ENTRE ABIMÉLECH ET ISAAC ?
samedi 26 juillet 2014
Extrait do Chapitre I, d’ « Origène et la philosophie », par Henri Crouzel. Aubier, 1962
Quant à la cosmologie et à la théologie du Portique, elles sont l’objet de graves critiques. D’abord la théorie des cycles : les Stoïciens concevaient l’histoire du monde comme une succession infinie de cycles, où les mêmes événements se reproduisaient identiquement. Chacun se composait de deux moments, l’un où le Dieu suprême anime et gouverne un monde qui s’organise (diakosmesis), l’autre où l’univers est détruit par une conflagration (ekpyrosis) qui fait tout rentrer dans la substance divine initiale, le feu :
« Les Stoïciens disent que périodiquement une conflagration détruit l’univers et qu’une mise en ordre (diakosmesis) lui succède, pendant laquelle se reproduisent d’une façon absolument pareille les événements de la précédente. Ceux qui ont honte de cette doctrine ont parlé de changements peu nombreux et tout à fait infimes entre une période et les événements de celle qui la précède. Ils disent que dans la période suivante on verra de nouveau Socrate, fils de Sophronisque et Athénien, que Phénarète, épouse de Sophronisque, engendrera une seconde fois. S’ils ne prononcent pas le mot de résurrection, ils en montrent cependant le fait, puisque Socrate ressuscitera, comme il a commencé, de la semence de Sophronisque, et sera formé dans le sein de Phénarète : élevé à Athènes, il y enseignera la philosophie, une philosophie absolument pareille à la précédente. Anytos et Mélétos ressusciteront pour accuser de nouveau Socrate et le tribunal de l’Aréopage le condamnera. Et, ce qui est encore plus ridicule, Socrate se vêtira d’habits absolument pareils à ceux de la période précédente, il vivra dans une pauvreté absolument pareille et dans une ville d’Athènes absolument pareille à celle de la période précédente. Et Phalaris sera de nouveau un tyran, son taureau d’airain mugira de nouveau par la voix des condamnés enfermés dans son ventre, absolument pareils à ceux de la période précédente. Alexandre de Phères gouvernera aussi tyranniquement, avec une cruauté absolument pareille à la précédente, condamnant des hommes absolument pareils aux précédents. Que me faut-il dire encore d’une telle doctrine, soutenue par les Stoïciens, alors que Celse ne la juge pas risible, mais peut-être respectable, puisqu’il prétend Zenon plus sage que Jésus. »
En appliquant aux cycles stoïciens le mot de résurrection, Origène vise peut-être derrière la Stoa certains chrétiens vivant au sein de la grande Église : cette résurrection où tout est conforme aux conditions de vies actuelles, dans un monde de corps matériels, ressemble à celle qu’imaginaient les millénaristes ou chiliastes, par suite de leur simplicité, mais aussi de la contamination du matérialisme stoïcien.
Suivant le stoïcisme les dieux eux-mêmes n’échappent pas aux cycles. Mais les mêmes êtres ressuscitent-ils en chacun, ou voit-on dans les suivants d’autres êtres, absolument pareils à ceux des précédents ?
« Essayant de remédier en quelque façon aux absurdités du système, les Stoïciens disent, je ne sais comment, que tous seront à chaque période absolument pareils à ceux des précédentes. Ce n’est pas Socrate qui ressuscitera de nouveau, mais quelqu’un d’absolument semblable à Socrate. Il épousera une femme absolument semblable à Xanthippe et il sera accusé par des gens absolument semblables à Anytos et à Mélétos. Je ne sais comment le monde peut être toujours le même et non un autre absolument semblable au précédent, tandis que les êtres qu’il contient ne sont pas les mêmes, mais des êtres absolument semblables aux précédents. »
Ces explications ne s’accordent pas parfaitement avec ce qu’Origène dit plus loin :
« Les Stoïciens prétendent que le corps complètement détruit revient à sa nature initiale, d’après leur doctrine qui professe des êtres absolument semblables à chaque période, et qu’il ressuscitera dans la même structure primitive, qu’il avait lorsqu’il fut dissous : ils le prouvent par des raisons dialectiques qu’ils croient nécessaires. »
D’après ce texte, c’est le même être qui recommence, et non un être nouveau, pareil au précédent. Origène y oppose sa doctrine du corps glorieux : il y a dans le corps terrestre un logos spermatique qui est le germe du ressuscité.
Au sujet de la « mise en ordre » Origène cite l’exégèse allégorique du tableau qui est à Samos suivant Chrysippe de Soles : Héra, la matière, reçoit les raisons séminales du dieu Zeus, travaillant à mettre en ordre le tout. Mais à la conflagration est opposée la foi chrétienne en l’immortalité de l’âme raisonnable :
« Que les Stoïciens détruisent tout par le feu ! Nous, nous savons que les essences incorporelles ne peuvent être consumées et que le feu ne peut pas détruire l’âme de l’homme, ni la substance des anges, des Trônes, des Dominations, des Principautés et des Puissances. »

