Litteratura

Accueil > Shruti - Smriti > Crouzel : Les Stoïciens, vertueux, mais matérialistes.

Origène et la philosophie

Crouzel : Les Stoïciens, vertueux, mais matérialistes.

QU’Y A-T-IL DE COMMUN ENTRE ABIMÉLECH ET ISAAC ?

samedi 26 juillet 2014

Extrait do Chapitre I, d’ « Origène et la philosophie », par Henri Crouzel. Aubier, 1962

Origène semble accepter toute la morale stoïcienne. Le Portique conçoit la justice autrement que Platon, car il refuse le tripartisme de l’âme ; il pratique la vertu pour elle-même. S’il condamne l’adultère, c’est pour des raisons vraiment morales, bien différentes de celles des Épicuriens :

« par sens du bien commun (dia to kiononikon) et parce qu’il est contre nature pour un vivant raisonnable de souiller la femme qu’auparavant les lois ont unie à un autre et de détruire le ménage d’un autre homme. »

Origène donne de l’inceste des filles de Lot une explication inspirée de Philon : quand elles virent le soufre et le feu tomber sur les cinq villes elles crurent que Dieu détruisait une seconde fois le genre humain — elles avaient quelque idée des conflagrations du Portique ! — et qu’elles restaient seules au monde avec leur père. Dans le Contre Celse Origène appuie son interprétation sur des principes de morale stoïcienne :

« Les Grecs ont étudié la nature des actes bons, mauvais ou indifférents. Ceux qui y ont vu clair placent la bonté et la malice des actes dans l’intention seule : ils disent qu’en soi-même (to idio logou) tout est indifférent, quand on le recherche sans intention. L’intention d’utiliser quelque chose conformément au devoir est louable, dans le cas contraire blâmable. En parlant de ce qui est indifférent ils ont dit qu’il est en soi indifférent d’avoir de tels rapports avec ses filles, mais que cependant il ne faut pas agir ainsi dans les sociétés organisées. Pour montrer que cela est bien indifférent, ils supposent à titre d’hypothèse qu’un sage soit laissé seul avec sa fille, alors que toute l’humanité est détruite, et ils se demandent s’il est permis au père d’aller vers sa fille pour empêcher, toujours suivant la même hypothèse, le genre humain de périr. Les Grecs ont-ils raison de parler ainsi ? La secte des Stoïciens, qui n’est pas des moins considérables, répond par l’affirmative. »

Si des sages sont de cet avis, pense Origène, peut-on reprocher cet acte à des filles jeunes ? L’Écriture ne prononce d’ailleurs à leur égard ni approbation ni blâme. L’Alexandrin accepte-t-il vraiment ce qui fait le fond de ce raisonnement ? Professe-t-il l’idée que la bonté et la malice matérielles ou objectives d’un acte ne tiennent pas à sa nature, mais qu’elles ont une origine sociale : « il ne faut pas, dit-il, agir ainsi dans les sociétés organisées ». Il croit cependant à une loi naturelle, écrite par Dieu dans le cœur des païens eux-mêmes, suivant Rom. II, 15 : la bonté et la malice objectives des actes dépend de leur nature, voulue par le Créateur. C’était donc ici un argument ad hominem, comme souvent dans le Contre Celse : pour répondre à l’objection de Celse, Origène a montré cet acte justifiable de l’avis de philosophes eux-mêmes.