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Approches de l’Inde

Aurobindo : LA CLEF DU VÊDA

Trad. F. Berys et R. Allar (révisé par l’auteur)

lundi 3 novembre 2008

Ce texte constitue l’importante introduction aux Hymns to the Mystic Fire, extraits du Rig Vêda, traduits par Shrî Aurobindo et parus en 1946 (Shrî Aurobindo Ashram, Pondichéry. Traduit par F. Berys et R. Allar et révisé par l’auteur.

Mais alors quelle est, au juste, la signification secrète, le sens ésotérique que révèle cette manière de comprendre le Vêda ?

Ce qu’on doit attendre de la recherche de n’importe quel mystique et aussi ce que l’on peut augurer du développement de la culture indienne, une première forme de la vérité spirituelle, qui a atteint son apogée dans les Upanishads. La connaissance secrète contenue dans le Vêda est la graine qui se développera plus tard dans les Upanishads, le Vêdânta, la pensée autour de laquelle est centrée la recherche de la Vérité, de la Lumière, de l’Immortalité.

Il y a une Vérité plus profonde et plus élevée que la vérité de l’existence extérieure, une Lumière plus grande et plus élevée que la lumière de la compréhension humaine, qui vient de la révélation et de l’inspiration, et une immortalité vers laquelle l’âme doit s’élever. Nous devons frayer notre chemin dans cette direction afin d’entrer en contact avec cette Vérité et cette Immortalité, sapanta ritam amritam (I, 68, 2) pour naître dans la vérité, nous épanouir en elle, nous hausser en esprit dans le monde de la Vérité et y vivre. Agir ainsi, c’est s’unir à la Divinité et passer de la mortalité à l’immortalité. Tel est l’enseignement primordial et essentiel des mystiques védiques.

Les Platoniciens, développant la doctrine qu’ils tenaient des premiers mystiques, soutenaient que nous sommes, dans notre vie, en relation avec deux mondes : le monde de la vérité suprême que nous pouvons appeler le monde spirituel, et celui dans lequel nous vivons, le monde de l’âme incarnée qui émane du monde supérieur mais qui se dégrade en une vérité et une conscience inférieures. Les mystiques védiques ont soutenu cette doctrine .sous une forme plus concrète et plus pragmatique, car ils avaient fait l’expérience de ces deux mondes. Il y a pour eux la vérité inférieure de ce monde, mêlée de beaucoup de fausseté et d’erreur, anritasya bhûreh (VII, 60, 5) et il y a un monde ou demeure, de la Vérité, sadanam ritasya (I, 164, 47 et IV, 21, 3), la Vérité, la Rectitude, l’Immensité, satyam, ritam, brihat (Atharva, XX, 1. 1) où tout est conscience de la Vérité, ritachit (IV, 3,4). Il y a beaucoup de mondes intermédiaires jusqu’aux Trois Cieux et leurs lumières, mais ce monde-là est celui de la plus grande lumière, — le monde du Soleil et de là Vérité, svar ou le grand Ciel. Nous devons découvrir le chemin qui mène à ce grand Ciel, le chemin de la Vérité, ritasya panthâ (III, 12, 7 et VII, 66, 3), ou, comme on le nomme parfois, la voie des dieux. Telle est la seconde doctrine mystique.

La troisième enseigne que notre vie est un combat entre les puissances de la Lumière et de la Vérité, — les Dieux qui sont les Immortels — et les Puissances des Ténèbres. Celles-ci portent des noms divers, tels Vritra et Vritras, Vala et les Panis, les Dasyus et leurs rois. Nous devons appeler à notre secours les Dieux pour détruire ces puissances de Ténèbres qui nous cachent la Lumière pu nous la dérobent, qui entravent le cours des neuves de la Vérité, ritasya dhârâh (V, 12, 2 et VII, 43, 4), les neuves du Ciel, et qui empêchent de toutes les manières possibles, l’ascension de l’âme. Nous devons invoquer les Dieux par un sacrifice intérieur et, par la Parole, les faire descendre en nous — tel est le pouvoir particulier du Mantra, — leur offrir les dons du sacrifice et ainsi, s’assurer leurs propres dons afin que nous puissions de cette manière construire la voie de notre ascension et atteindre le but. Les éléments du sacrifice extérieur prescrit par le Vêda sont utilisés comme symboles du sacrifice intérieur et de l’offrande de nous-mêmes ; nous donnons ce que nous sommes et ce que nous avons afin que les richesses de la Vérité et de la Lumière divines puissent pénétrer dans notre vie et devenir les éléments de notre naissance intérieure dans la Vérité : une pensée droite, un jugement droit, une action droite doivent actualiser en nous ce qui constitue la pensée, l’impulsion et l’action de cette Vérité supérieure, ritasya preshâ, ritasya dhîti (I, 68, 3) et de cette façon nous devons nous dresser dans cette Vérité. Notre sacrifice est analogue à un voyage, à un pèlerinage et à un combat — un voyage vers les Dieux, et nous le faisons en compagnie d’Agni, la Flamme intérieure, qui est notre éclaireur et notre guide. Les choses humaines sont élevées à l’être immortel par le Feu Mystique, dans le Grand Ciel, et les choses divines s’abaissent jusqu’à nous et en nous. De même que la doctrine du Rig-Vêda contient en germe l’enseignement du Vêdânta, de même ses pratiques et sa discipline intérieure sont à l’origine des pratiques et de la discipline ultérieures du Yoga.

Enfin, au sommet de l’enseignement des mystiques védiques se situe le secret de la Réalité unique, ekam sat (I, 164, 46) ou tad ekam (X, 129, 20) qui devint la Parole essentielle des Upanishads. Les Dieux, les puissances de Lumière et de Vérité sont les puissances et les noms de la Réalité unique ; chaque Dieu est à lui seul tous les dieux et les absorbe. Il y a une seule Vérité, tat satyam (III, 39, 5 et IV, 54, 4, aussi VIII, 45, 27) et une seule félicité au niveau desquelles nous devons nous élever. Dans le Vêda tout cela transparaît le plus souvent à travers un voile. Il y a encore bien d’autres choses mais ceci est le cœur même de la doctrine.

Cette interprétation que nous avons fait ressortir a eu un premier et assez long exposé dans une suite d’articles publiés, il y a trente-cinq ans, sous le titre le Secret du Vêda. Écrit au fur et à mesure que la théorie était en plein développement, il était loin d’épuiser le sujet suivant un plan préconçu et bien ordonné, et comme il n’a pas paru sous forme de livre il n’est pas encore accessible à la masse des lecteurs. A cette occasion nous avions donné du Rig Vêda, la traduction d’un certain nombre d’hymnes, traduction qui était plutôt une interprétation et que précédait une introduction explicative concernant la « Doctrine des Mystiques ». Par après, nous avions envisagé une traduction complète et très fidèle de tous les hymnes à Agni qui se trouvent dans les dix mandalas. Mais pour établir sur une base rigoureuse les conclusions de l’hypothèse, il eût été nécessaire de préparer une édition du Rig Vêda ou d’une grande partie de celui-ci avec un mot à mot en sanskrit et en anglais ainsi que des notes concernant les points importants, et justifiant l’interprétation des vocables isolés ou de stances entières, le tout suivi d’appendices détaillés pour fixer le sens des mots-clefs tels que ritam, shravas, kratu, ketu, etc.. qui sont essentiels pour l’interprétation ésotérique. Ce projet fut envisagé, mais dans l’intervalle survinrent des difficultés assez grandes et durables et il fallut renoncer à une entreprise aussi considérable.