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Approches de l’Inde
Aurobindo : LA CLEF DU VÊDA
Trad. F. Berys et R. Allar (révisé par l’auteur)
lundi 3 novembre 2008
Ce texte constitue l’importante introduction aux Hymns to the Mystic Fire, extraits du Rig Vêda, traduits par Shrî Aurobindo et parus en 1946 (Shrî Aurobindo Ashram, Pondichéry. Traduit par F. Berys et R. Allar et révisé par l’auteur.
D’autres mots et symboles importants du Vêda incitent à une interprétation analogue de leur sens. Comme la vache védique est le symbole de la lumière, le cheval védique est le symbole du pouvoir, de la force spirituelle, de la force de tapasya. Quand le Rishi demande à Agni de lui envoyer en don des chevaux précédés par des vaches, il ne demande pas réellement un certain nombre de chevaux constituant le gros du cadeau et augmentés de quelques vaches : il demande un vaste pouvoir spirituel conduit par la lumière ou, ainsi que nous pouvons le traduire, « avec le Rayon-Vache marchant en avant » (NOTE : Comparez avec l’expression qui désigne les Aryens, le noble peuple, conduit par la lumière, jyotir agrâ.). De même, un des hymnes célèbre la reconquête, sur les Panis, de la masse des rayons (les vaches, les troupeaux lumineux, — gavyam). Un autre hymne demande à Agni une masse ou abondance ou pouvoir de chevaux, — ashvyam. De même également, le Rishi demande parfois les héros ou les guerriers comme escorte et une autre fois, dans un langage plus abstrait et sans aucun symbole, il demande la force totale du héros — suvîryam. Ailleurs il combine le symbole avec la chose. De même encore, les Rishis sollicitent un fils ou des fils, des descendants, — apatyam, — comme un élément de la richesse qu’ils prient les Dieux de leur accorder. Ici aussi un sens ésotérique peut être perçu, car dans certains passages la naissance d’un fils est le clair symbole d’une naissance intérieure. Agni lui-même est notre fils, l’enfant de nos œuvres, l’enfant qui est, comme le Feu Universel, le père de ses pères. Et c’est en entreprenant des choses qui portent de beaux fruits que nous créons ou découvrons un chemin vers le monde supérieur de la Vérité.
L’eau est aussi utilisée comme symbole. Le Vêda parle de l’océan d’inconscience, salîlam apraketam, dans lequel la Divinité est plongée et d’où elle surgit dans toute sa grandeur. Il parle aussi du grand océan, — maho amas, les eaux supérieures que Saras-watî, suivant un des hymnes, rend conscientes pour nous ou dont elle nous rend conscients par le rayon de l’intuition — prache-tayati ketunâ.
Les sept rivières semblent être les rivières de l’Inde du Nord, mais le Vêda parle des sept puissantes rivières célestes qui tombent du ciel — ce sont les eaux de la connaissance, les eaux qui connaissent la vérité — ritajna — et quand elles sont lâchées, elles nous montrent la voie des cieux supérieurs. Parasara, lui aussi, parle de la Connaissance et de la Vie universelle « dans la demeure des eaux ». Indra délivre la pluie en tuant Vritra, mais cette pluie est aussi la pluie du Ciel et permet aux fleuves de couler. Ainsi, la légende de la délivrance des eaux, qui occupe une si grande place dans le Vêda, revêt l’aspect d’un mythe symbolique. En même temps apparaît une autre légende : celle de la découverte et de la délivrance, dans la caverne profonde de la montagne, du Soleil, des vaches ou des troupeaux du Soleil (ou du monde du Soleil, svar) par les Dieux et les Angiras-Rishis.
Le symbole du Soleil est constamment associé à la Lumière et à la Vérité supérieures. C’est au sein d’une vérité cachée par une vérité inférieure que sont dételés les chevaux du Soleil. C’est au Soleil, dans son rayonnement suprême, que le grand Mantra, la Gâyatrî, demande de stimuler nos pensées. Ainsi, dans le Vêda, des ennemis sont appelés des voleurs, dasyus, qui dérobent les vaches, ou Vritras, et on les considère comme des ennemis des hommes au sens ordinaire du mot, mais Vritra est un démon qui recouvre et retient la Lumière et les eaux — et les Vritras sont les forces qui accomplissent cette fonction. Les dasyus, voleurs et exterminateurs, sont les puissances des ténèbres, les adversaires de ceux qui cherchent la Lumière et la Vérité. Il y a toujours des indications qui nous conduisent du sens extérieur et exotérique au sens intérieur et ésotérique.
En connexion avec le symbole du Soleil, on peut citer ici un poème remarquable et hautement significatif d’un hymne du cinquième Mandala. Il montre non seulement le profond symbolisme mystique des poètes védiques mais aussi comment les rédacteurs des Upanishads comprenaient le Rig Vêda et il justifie leur croyance en la connaissance inspirée de leurs prédécesseurs. « Il y a une Vérité cachée par une (autre) Vérité », dit le passage du Vêda, « où ils détèlent les chevaux du Soleil ; où les mille chevaux se tenaient assemblés, là était cet Un (ou bien : Cela - la Vérité suprême - était un) ; j’ai vu la plus grande, la meilleure, la plus glorieuse forme des dieux » (ou bien cela signifie : « J’ai vu les plus grandes - les meilleures - formes des Dieux »). Remarquez comment le voyant de l’Upanishad traduit cette pensée ou cette expérience mystique dans son propre style plus récent : en conservant le symbole central du Soleil mais sans intention secrète. Voici le passage de l’Upanishad : « Le visage de la vérité est caché par un couvercle d’or. O Pushan (nourricier), toi ôte-le pour (permettre) la vision de la loi de la Vérité (ou, pour la Loi de la Vérité, pour la vision). O Pushan (nourricier), toi qui es le seul voyant. O Yama, O Soleil, O Enfant du Père des êtres, dispose et rassemble tes rayons ; je vois la Lumière qui est la plus belle, la plus favorable de Tes formes. Celui qui est ce Purusha, je suis Lui ». Le couvercle d’or signifie la même chose que la vérité inférieure et couvrante, ritam, dont parle le poème védique. « La meilleure forme des Dieux » est l’équivalent de « la plus belle forme du Soleil » : c’est la Lumière suprême qui est autre et plus grande que toute lumière extérieure. La grande formule de l’Upanishad : « Je suis Lui » correspond au « Cet Un » (tad ekam) du poème védique. La réunion des mille chevaux (les rayons du Soleil, dit Sâyana, est évidemment le sens de l’expression) se retrouve dans la prière au soleil « qu’il dispose et rassemble ses rayons » afin qu’on puisse voir la forme suprême. Le Soleil, dans ces deux passages, comme c’est constamment le cas dans le Vêda (et fréquemment dans l’Upanishad) est la Divinité de la Vérité et de la Connaissance suprême et ses rayons sont la lumière qui émane de cette suprême Vérité ou Connaissance. Il est clair, d’après cet exemple, — et il y en a d’autres — que le voyant de l’Upanishad avait une notion plus exacte de la signification de l’ancien Vêda, que le commentateur ritualiste du moyen âge avec son érudition gigantesque (NDT : il s’agit de Sâyana) mais cependant beaucoup plus exacte que l’opinion des savants européens, dont l’esprit moderne est si différent.

