Accueil > Shruti - Smriti > Gaboriau : Le point de départ est-il l’« Épochê » husserlienne ?
L’entrée en métaphysique
Gaboriau : Le point de départ est-il l’« Épochê » husserlienne ?
Florent Gaboriau
mercredi 30 juillet 2014
Extrait de Florent Gaboriau Gaboriau Florent Gaboriau (1921-2002) , « L’Entrée en Métaphysique »
Ces divergences, dans le sens d’une « radicalisation », relèvent d’une différence dans la position même du problème chez Descartes et chez Husserl [2]. Pour Descartes, l’existence du monde est incertaine.Pour Husserl, cette existence du monde est incompréhensible. D’où l’attitude qui répond à ces questions et qui ne peut être la même. Le premier s’interroge en effet sur la réalité de l’existence du monde : « je ne puis avoir aucune connaissance de ce qui est hors de moi que par l’entremise des idées que j’en ai eues en moi » (A. T., t. III, p. 474). Le second ne doute point qu’existe le monde (en douter impliquerait que l’on sache ce que signifie précisément « exister ») ; c’est sur le sens de cette existence qu’il s’interroge précisément. L’attitude qui répond à la première situation est bien le « doute », — à chasser par une certitude. La seconde au contraire provoque une suspension de toute prise de position à l’égard du monde : on s’interroge sur le « sens » de l’existence. D’où vient ce « sens » que les sciences ont commencé de découvrir à l’existence ? [3] D’où ce monde » tient-il sa signification ? Et quel « sens » donner précisément à l’ « existence » ? On attend qu’ « existant » ou « non-existant » ait et révèle un sens ; telle est l’épochê ; on comprend donc qu’elle soit permanente, c’est la mise en question du sens même d’exister.
Remarquons, avant de poursuivre, que ces deux applications particulières du Fragen humain représentent chacune une Frage spéciale, une question certes très haute, on n’en disconvient pas, mais nullement primitive.L’importance qu’elles ont chacune, ne leur confère point le privilège d’être « initiale ». Elles n’en sont pas moins caractéristiques.


[2] « Descartes et Husserl ont en commun la conviction que la tâche de la philosophie est d’établir le fondement radical et apodictique de la science véritable, de la mathesis universalis. Mais le contexte historique est si différent qu’il oriente déjà bien différemment cette recherche et cette préoccupation communes. En effet, Descartes s’oppose à la philosophie de l’École de la Renaissance finissante, Husserl au positivisme relativiste et psychologiste, au néokantisme de la fin du XIXe siècle. » (Pierre Thévenaz, dans Problèmes actuels de la Phénoménologie, Desclée de Brouwer, 1951, p. 15.)
[3] « Husserl se trouve en présence d’une science certaine, d’une science faite, qui a ses états de service et ses résultats incontestés. C’est la même situation que celle de Kant en face de Newton. La crise de la science ne touche pas ses résultats mais seulement ses fondements et sa signification, comme on le vérifie à toutes les étapes de révolution husserlienne ». (Pierre Thévenaz, art. cit., p. 15-16).