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Origène et la philosophie

Crouzel : Autres doctrines de Platon.

Henri Crouzel

dimanche 3 août 2014

Extrait de « Origène et la philosophie »

La justice selon Platon est dans « l’action propre (idiopragia) de chaque partie de l’âme » ; c’est l’harmonie qui s’établit lorsque chacune remplit sa fonction de la partie irascible de l’âme et il lui assigne une place autour de la poitrine ». Celse prétend que l’humilité chrétienne vient d’une mauvaise compréhension d’un texte des Lois :

’’Dieu ayant en lui, selon l’antique parole, le commencement, la fin et le milieu de tous les êtres, va tout droit parmi les révolutions de la nature : la justice toujours le suit, pour punir ceux qui ont abandonné la loi divine ; celui qui veut le bonheur marche derrière, humble et rangé.’’

Les explications que donne Origène à propos de l’humilité de Marie selon le Magnificat montrent la difficulté qu’avaient les Grecs à voir une vertu dans la tapeinosis ou la tapeinophrosyne : il la rapproche des quatre vertus cardinales et l’assimile à l’atyphia, absence d’orgueil, et à la metriotes, modestie. La parole de Jésus sur le chameau et le chas de l’aiguille est selon Celse un plagiat des Lois : « Il est impossible que quelqu’un qui soit très bon soit exceptionnellement riche » et le Christ a emprunté au Criton la doctrine de la non-résistance au mal : Origène répond en montrant l’impossibilité de tels emprunts.

Un fragment des Stromates origéniens, conservé par saint Jérôme dans son Apologia adversus libros Rufini, commente un texte de la République sur le mensonge médicinal. Voici la traduction du latin de Jérôme :

’’Il faut suivre fortement la vérité. En effet si, comme nous le disions avec très juste raison il y a peu de temps, le mensonge ne convient pas à Dieu et lui est inutile, il est quelquefois utile aux hommes, pour qu’ils en usent par manière d’assaisonnement et de médicament. Sans aucun doute il faut en donner la permission aux médecins, à condition de l’enlever à ceux qui ne sont pas sages. — Tu dis vrai. — Il faut donc que ceux qui gouvernent les villes, si on leur accorde cette autorisation, ainsi qu’à d’autres, mentent quelquefois, en face des ennemis, ou dans l’intérêt de leur patrie et de leurs concitoyens.’’

Voici le commentaire d’Origène qui soulève le scandale de Jérôme :

’’Nous, nous souvenant de ce précepte : « Que chacun dise la vérité à son prochain », nous ne devons pas dire : « Qui est mon prochain ? » Mais il faut considérer avec quel soin le philosophe dit : « Le mensonge ne convient pas à Dieu et lui est inutile, mais il est quelquefois utile aux hommes » ; et ne pas penser que Dieu se permette jamais de mentir, même en vue de ses économies. Si cependant l’intérêt de l’auditeur le demande, il emploie des paroles ambiguës et révèle ce qu’il veut à travers des énigmes, pour conserver quant à lui la dignité de la vérité, mais n’exposer que sous le couvert d’un voile ce qui pourrait être nuisible si on le manifestait au public dans sa nudité. Mais l’homme à qui incombe la nécessité de mentir, qu’il se garde soigneusement d’utiliser le mensonge autrement que comme « assaisonnement et médicament » ; qu’il conserve cette mesure et ne dépasse pas les bornes, à l’exemple de Judith devant Holopherne lorsqu’elle le vainquit en se dissimulant prudemment par ses paroles. Qu’il imite Esther, qui fit changer Artaxerxès d’avis, en gardant longtemps le silence sur ses origines nationales ; et surtout le patriarche Jacob, qui selon l’Écriture demanda les bénédictions de son père à l’aide d’un mensonge rusé. Il est évident que si nous ne mentons pas ainsi, pour chercher par là un grand bien, nous serons jugés ennemis de celui qui a dit : « Je suis la Vérité. »’’