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Le mystère du signe
Borella : Symbole et Allégorie
Jean Borella
samedi 2 août 2014
Extrait de « Le mystère du signe »
Témoignage de Philon
Venons-en donc à quelques textes de Philon d’Alexandrie, où le mot symbole apparaît de la façon la plus nette, occurrences d’autant plus remarquables que Philon est en effet le premier à avoir, non pas pratiqué - nous l’avons vu - mais formulé la doctrine de l’interprétation allégorique, utilisant d’ailleurs abondamment le mot allègoria, puisqu’il lui sert à nommer l’un de ses ouvrages essentiels, le Commentaire allégorique des Saintes Lois [10]. « L’interprétation des Ecritures sacrées s’effectue au moyen des sens cachés (di’hyponoion) dans les allégories » [11]. Mais, dans un autre ouvrage [12], Philon, toujours à propos de l’exégèse, s’exprime ainsi : « Au Saint Sabbat, les Esséniens vont dans les lieux saints, les synagogues, où ils s’asseyent par rang d’âge, les jeunes au-dessous des plus âgés : ils se disposent à écouter dans l’ordre convenable. Ensuite, l’un prend les livres et on les lit ; puis un autre, parmi les plus savants, s’étant avancé, explique tout ce qui n’est pas compréhensible ; c’est qu’en effet, chez eux, la plupart des passages sont médités au moyen de symboles suivant un goût très ancien ». Car « le récit formulé est le symbole d’une pensée cachée qu’il faut examiner » [13]. Distinguant trois degrés de compréhension de l’Ecriture (selon la lettre, selon la pleine lumière de la vérité, ou selon la signification allégorique qui est ainsi l’intermédiaire entre la lettre et la contemplation), Philon explique encore : « les mots sont les symboles de réalités (Pépin traduit " de notions ") que la raison seule atteint » [14]. Et quand il s’agit précisément, non plus de faire la théorie de l’allégorie, mais de la pratiquer, Philon n’hésite pas à utiliser le mot symbolon ou ses dérivés. C’est ainsi qu’il explique que « ... l’homme Abraham signifie symboliquement l’intelligence active... » [15], ou encore, parlant du Tabernacle « ... les sept flambeaux ou lampes sont les symboles des astres que les physiciens appellent planètes [16] ». Il est donc clair que le mot symbole peut aussi bien s’appliquer aux mots de l’Ecriture qu’aux choses dont elle parle.


[10] Traduction E. Bréhier, ed. Picard, 1909. Dans son ouvrage Les Idées philosophique et religieuses de Philon d’Alexandrie, 3e ed. Vrin, 1950), Bréhier étudie (pp. 45-61) l’origine de l’allégorisme philonien et conclut à la source juive : « Nous sommes donc ici sur la voie d’une véritable tradition purement juive » (p. 54).
[11] De vita contemplativa 78, p. 483, 42-43, Mangey, ed. Conybeare, pp. 118-119 (Pépin, 233).
[12] Quod omnis probus liber sit 82 (Pépin, p. 224). Nous utilisons la traduction Bréhier, op. ciL p. 50.
[13] De praemiis et poenis 61-65, ed. Cohn et Wendland, t V, p. 349 ; (Pépin, 232).
[14] De Abrahamo 119, t IV, p. 27, 16-23 (Pépin, 233). Il ne faut pas voir dans ce que nous avons appelé « les trois degrés de compréhension » la préfiguration de la doctrine des trois (ou quatre) sens de l’Ecriture, dont Origène semble être le premier témoin. Le point de vue de Philon est différent : le troisième degré n’est pas un sens, c’est la saisie des réalités « dans la pleine lumière de midi » et non plus « dans l’ombre double » des mots et de l’allégorie.
[15] Ibid 99 ; C.W., IV, p. 23, 11-16.
[16] De vita Moysi II, 103, C.W., IV, p. 225, 3-5.