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La magie espirituel et angélique
Walker : Théorie générale de la magie naturelle
Daniel Pickering Walker
mardi 5 août 2014
Extrait de « La magie espirituel et angélique ». Trad. Marc Rolland.
Nous allons maintenant traiter des moyens de produire des effets. La magie fïcinienne suit les termes de ce schéma, se sert de la vis imaginativa combinée avec les vires imaginum B, verborum A et B, musices A, et rerum B. Les effets auxquels elle vise sont psychologiques et subjectifs. Cette description s’applique à la fois à la magie spirituelle du De V.C.C. et à sa magie angélique. Dans ce dernier cas, les démons seraient attirés par les divers vires.
Il faut se souvenir que « subjectifs » se dit des effets qui demeurent à l’intérieur de l’opérant ou de ceux qui prennent part à l’opération, c’est-à-dire subjectifs sur le plan individuel ou collectif, par opposition aux opérations transitives par lesquelles l’opérant impose un effet à quelqu’un sans le subir lui-même. La distinction entre les effets transitifs et subjectifs est importante de deux façons. Premièrement, si les effets sont subjectifs, le danger est bien moindre que la magie soit démoniaque, puisqu’elle ne comporte aucune transmission autre que la perception normale des sens — des images, des mots, de la musique ou des choses utilisées au cours de l’opération — tandis que si les effets sont transitifs, l’opération n’est pas perceptible par le patient, ou alors l’effet se produit sur un objet inanimé. Il est toujours possible de prétendre qu’un effet subjectif est accompli par les démons, mais il peut au moins s’expliquer facilement sans eux. Deuxièmement, seules les opérations transitives peuvent être socialement importantes ; la magie subjective peut être bonne ou mauvaise du point de vue de la morale ou de la religion mais, puisqu’elle n’affecte pas d’autres personnes, elle n’est pas un instrument de pouvoir à des fins sociales, politiques ou de prosélytisme religieux, comme celles que visaient, par exemple, Bruno ou Campanella. La magie subjective est donc beaucoup moins à même d’éveiller la crainte ou la persécution que la magie transitive.
L’usage de la magie transitive sur des êtres animés constitue un empiétement sur la psychologie pratique ; une telle magie est destinée à contrôler et à diriger les émotions des gens en modifiant leur imagination d’une manière spécifique et permanente. Il existait une nette tendance de ces techniques magiques à se centrer autour des sentiments sexuels, tant parce qu’ils étaient reconnus pour spécialement puissants et fondamentaux que parce qu’ils sont, en fait, plus étroitement liés à l’imagination que d’autres appétits naturels. Des traités de sorcellerie n’étaient pas loin du genre pornographique ; et Bruno fit une tentative remarquable pour mettre en ouvre une technique de contrôle de toutes les émotions, explicitement basée sur l’attirance sexuelle9. La magie subjective peut, elle aussi, empiéter sur la psychologie, la seule différence étant que les techniques s’appliquent à soi-même, comme dans la magie de Ficin ; le biais sexuel n’est pas apparent ici. Les empiétements sur la psychologie ne conduisent pas à une absorption de la magie dans une autre activité, car la psychologie appliquée n’existait pas au XVIe siècle en tant que discipline indépendante ; dans la mesure où elle était consciemment systématisée, elle faisait partie de la religion, et c’est une des façons, peut-être la plus importante, par laquelle la magie empiète sur la religion.
La production d’effets par la psychologie appliquée ou par la magie ne diffère de nombreuses pratiques religieuses qu’en ceci qu’aucune cause divine n’est prise en compte. La magie naturelle, non démoniaque, constitue donc une menace évidente envers la religion, car elle prétend produire les mêmes effets sans agent surnaturel ; sa conséquence logique est l’athéisme ou le déisme. La magie démoniaque ou angélique évite ce danger, mais est plus évidemment inacceptable pour un chrétien parce qu’elle est une religion rivale. La révélation chrétienne est unique et exclusive, et il n’y a de place pour aucune autre religion. Les chrétiens prudents et méfiants préfèrent donc considérer toute magie comme démoniaque et la condamner sans réserve. Les magiciens imprudents mais bien intentionnés tentent de parvenir à une magie non démoniaque afin d’échapper à la fois au Démon et à la flagrante inorthodoxie d’une pratique religieuse rivale. Mais leur magie naturelle, subjective, purement psychologique pouvait expliquer tous les effets d’une religion subjective et psychologique sans prendre Dieu en compte. Le catholicisme ordinaire n’était pas sans défense contre cette explication destructrice, car nombre de ses pratiques relevaient d’un ordre miraculeux qui ne pouvait s’expliquer ainsi avec autant de facilité ; elles produisaient des effets sur les objets inanimés (cloches, pain, récoltes), des effets psychosomatiques d’un genre surprenant (stigmates, guérison de maladies) et employaient des techniques étroitement associées à la magie, la vis imaginum et la vis verborum.
Cependant, pour les catholiques, demeurait la tâche insurmontable de démontrer que ces pratiques différaient essentiellement des opérations magiques produisant des effets quasi miraculeux similaires par des moyens similaires. Certains catholiques rigoureusement orthodoxes et certains protestants tentèrent de faire disparaître ou de démonter de telles pratiques, et de condamner comme magie démoniaque tout effet autre que purement psychologique et religieux. Mais, puisqu’ils devaient accepter les miracles du Nouveau Testament, leur position n’était pas tenable logiquement et, sans les miracles, ils couraient le danger de réduire leur religion à une technique psychologique sans Dieu, identique à la magie psychologique naturelle. Cette confusion entre la religion et la magie produisit alors le dilemme suivant : soit une religion miraculeuse mais clairement magique, soit une religion purement psychologique sans Dieu.
Ce dilemme ne fut bien sûr pas explicitement posé, mais il est clair que plusieurs auteurs opposés à la magie en étaient conscients et incapables d’y trouver une issue. Quelques très rares partisans de la magie, comme Pomponazzi, expliquaient tous les effets religieux, y compris les effets miraculeux, par des causes naturelles (psychologiques et astrologiques) ; et quelques magiciens catholiques très libéraux ne voyaient aucune objection à confondre pratiques magiques et religieuses. Je crois que l’importance historique de ces liens entre magie et religion est qu’ils amènent les gens à poser des questions sur les pratiques et expériences religieuses auxquelles ils n’auraient pas pensé autrement. En abordant les problèmes religieux par le biais de la magie, qui était au moins partiellement identique, ou exactement analogue à la religion, mais que l’on pouvait traiter sans révérence ni dévotion, ils purent apporter des réponses qui, vraies ou fausses, furent nouvelles et fructueuses.

