Litteratura

Accueil > Shruti - Smriti > Vulliaud : Le Cantique des Cantiques

Le Cantique des Cantiques

Vulliaud : Le Cantique des Cantiques

Paul Vulliaud

lundi 4 août 2014

Extrait de « Le Cantique des Cantiques »

Relativement à l’auteur (du Cantique des Cantiques), la question soulève les plus grandes difficultés. Les arguments pour et contre l’attribution à Salomon gardent leur valeur respective. Si l’on invoque le caractère d’une moralité douteuse chez ce monarque, ceux qui félicitent pompeusement Akiba d’avoir « sauvé » le Cantique en lui donnant une interprétation mystique de son invention sont-ils à l’abri de toute objection ? Mystique, patriote, gloire d’Israël, exalté parfois au-dessus de Moïse, Akiba assurément présente de belles qualités ; mais il ne serait pas non plus difficile de peindre un beau portrait de Salomon, et l’on ne dit point qu’il ait, comme ce docteur, conseillé à ses sujets de divorcer si l’on trouvait une autre femme mieux à sa convenance [3]. Malgré que Salomon entretînt un harem au nombre de femmes de beaucoup supérieur à celui que le droit juridique ne le permettait, il gardait au moins une mesure dans une question où Akiba donnait licence, si l’on en manifestait le goût et la puissance, de rivaliser avec Hercule chez Thestius.

Cela constaté, il est fort probable que le terme de « Salomon » semble avoir, pour la tradition mystique, un caractère symbolique, désignant plutôt le roi idéal de la Paix que le prince historique, qui fut sans doute celui de la Paix, mais dont le gouvernement devait amener le schisme et dont le faste coûteux et les pratiques idolâtriques devaient corrompre, au moins temporairement, la pureté morale du Judaïsme. D’ailleurs, j’ai précédemment remarqué, dans une note, que les Kabbalistes, malgré qu’ils eussent la plus grande admiration pour le prestige de la royauté salomonienne, insinuent quelques restrictions à son désavantage et en faveur de David. Le père de Salomon semble bien avoir été, à leurs yeux, le Roi par excellence. Certains commentaires favorisent mon sentiment. En voici un. Le Zohar dit : « Mille désigne les choses profanes. Car ce nombre émane du côté gauche (du démon), c’est pourquoi l’Écriture dit : les mille sont à toi, Salomon (VIII, 12). Ce sont les mille jours profanes, les jours de l’exil (Z., 11,227 b). » Il y a là, évidemment, une allusion aux actes licencieux et surtout « profanes » du grand Roi, qui anémièrent, par leur exemple, la sainteté d’Israël [4].

Que la glose mystique parle d’une Majesté idéale se déduirait aussi du fait que la physionomie de son Salomon présente des rapports avec celle du roi de Salem (Melchissédec), figure également typique. Le Zohar (I, 87 a) parle du « Roi de la Paix » celui dont le règne est parfait (schélim) (1), en attribuant cette désignation à Melchissédec. « Quand est-il le Roi de la Paix ? Le jour des expiations quand tous les visages resplendissent. » (B’ yomà d’kipourê d’kol anepin nehirin).


[3Gittin, IX, 10.

[4Dans son commentaire sur le Cantique, Isaac ibn Sahula (XIIIe siècle) interprète d’une façon curieuse l’expression de mille. Il voit sans doute, comme la tradition mystique, dans le mot aleph le symbole des « jours profanes », mais l’article (ha-aleph), c’est-à-dire la lettre hé désignerait le 6e millénaire où triomphera la dynastie de David. Son symbolisme est donc celui du Zohar. (Cf. Salfeld, p. 108.)