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Histoire de la Philosophie - La Philosophie Byzantine

Jean Climaque

Basile Tatakis

mercredi 26 septembre 2007

Extrait de « Histoire de la Philosophie », Fascicule supplémentaire - La Philosophie Byzantine, de Basile Tatakis

Le pasteur trouvé, reste la méthode à suivre. Celle-ci est le sujet développé dans les 30 échelons. L’ouvrage entier se divise en deux parties, peu distinctes, la lutte contre les vices, occupant la plupart des 23 premiers chapitres, et l’acquisition des vertus, occupant le reste de l’ouvrage. L’échelon souvent suit le précédent sans aucune raison. Si pourtant l’unité laisse à désirer, le plan est manifeste dans sa conception générale. Il y a un point de départ pour la vie évangélique, c’est l’abandon du monde, et un point final, l’impassibilité, que l’on gagne par des progrès successifs indiqués dans les échelons intermédiaires. La composition aussi est très inégale. A côté des chapitres où il n’y a que des définitions abstraites, il y en a d’autres remplis de digressions fort prolixes et d’intéressantes anecdotes. On a souvent la vive impression que l’auteur suit la trame des souvenirs personnels. Même inégalité dans le style, où nous trouvons côte â côte des tournures recherchées et des locutions populaires. Les premières trahissent plutôt ses lectures, les secondes lui viennent de son entourage. L’ouvrage ne constituant pas une recherche systématique, il ne faut pas s’attendre à un développement théorique ; c’est à une déontologie d’un caractère nettement pratique que nous avons affaire. Et comme elle a sa source dans la foi inébranlable de l’auteur et dans son expérience personnelle, et non pas dans un problème qui se pose théoriquement, l’empirisme y domine. Néanmoins Climaque chante » avec une ardeur inlassable et un optimisme émouvant, la noble obligation où nous sommes de nous refaire à l’image et à la ressemblance originelles, en demandant à la vie pratique le secret de notre déification. C’est par là même que Climaque accuse un accroissement évident de la sensibilité, en comparaison du mysticisme spéculatif, liturgique plutôt du pseudo-Denys. « Si tu ne te dépouilles pas, ô mon amant, dit Climaque dans le 30e échelon, de ce corps grossier, tu ne peux pas apprendre quelle est ma beauté. Que l’échelle t’enseigne l’enchaînement des vertus... les trois vertus d’ici-bas sont : la foi, l’espérance et la charité, et la charité est la plus grande. » Il est dit ailleurs que le propre de l’âme pure est l’amour inlassable pour Dieu. L’âme unie à Dieu par la pureté, n’aura aucun besoin d’une raison pour l’enseigner ; elle aura en elle, la bienheureuse, la raison éternelle « mystagogue » et guide et lumière. On voit bien que ce n’est pas par une procession rationnelle et discursive qu’on obtient la connaissance de Dieu. On y arrive par une adhésion de l’âme amoureuse ; c’est ce qui est le propre de la mystique. Climaque est un des amants de Dieu dont il nous parle lui-même. Dans les Ménologes de l’Église orientale, au 30 mars, il est dit de lui, qu’ « il a mené la vie du solitaire pendant quarante ans dans un amour ardent, enflammé par le feu de l’amour divin et que son chemin n’était que prière incessante, qu’amour inexplicable pour Dieu ». On reconnaît aisément à ce saint amour, ainsi conçu, un trait foncier de la philosophie grecque ; on voit en Dieu encore, plutôt un objet aimable qu’un sujet aimant. Le moine, dit Climaque, est « ordre et constitution des incorporels, qui se fait dans un corps matériel et sale ». Comment peut-on arriver à faire de soi la demeure des puissances incorporelles ? On commencera par renoncer, aussi, complètement que possible, au monde ; le renoncement extérieur doit être suivi d’un détachement intérieur des choses du monde. Puis viendra la retraite du monde, l’intuition mystique étant incompatible avec la vie du monde. Etre en retraite c’est se séparer de tout ; et l’on se sépare de tout, car on est inséparablement lié à Dieu, par la méditation. Par la retraite nous échappons à l’imagination de l’être, la vanité, l’inexistence, et nous obtenons l’être qui vraiment est. C’est à ces conditions qu’on obtiendra l’impassibilité, définie comme « mort de l’âme et mort de l’intelligence, avant la mort du corps ». L’ascète doit se soustraire à tout ce qui est fait en lui et autour de lui à la mesure de l’homme, pour être prêt à revêtir un autre moi, à entrer dans une autre vie, à recevoir ce qui dépasse l’homme, Dieu. Ainsi mort au monde, il sera ressuscité dans la vie contemplative. Seule cette retraite complète le fera digne de l’obéissance, qui est « mort des membres dans une intelligence vivante », une mort volontaire. L’homme en obéissance complète s’afflige seulement quand il se surprend à suivre sa propre volonté. Dans sa retraite complète le moine aura pour compagnon fidèle la méditation assidue de la mort. L’historien Procope n’avait-il pas déjà appelé la vie du moine, parfaite méditation de la mort ? Filles de la méditation de la mort sont les vertus que voici : le manque de toute inquiétude, la prière ininterrompue, et la vigilance de l’intelligence. Mais qu’est-ce que la mort ? La mort, à proprement parler, c’est la séparation de Dieu. Le vrai ascète doit considérer comme une journée perdue, toute journée passée sans deuil. Pourquoi ? Parce que la méditation de la mort est une mort quotidienne, et celle du moment où l’on rend l’âme est un soupir continuel. L’ascète a horreur de la mort, car elle pourrait survenir à un moment où il ne sera pas prêt ; il a horreur de la mort en tant que séparation de Dieu, de cette mort dans la contemplation, qui sera une résurrection au monde. Dès lors en méditant la mort, il lutte contre la mort, et travaille pour l’éternité. Sur ce point, et sur ce point seulement, Climaque se rencontre avec les philosophes païens, dont il fait mention : « Il est vraiment, dit-il, étrange, que les Grecs aussi aient dit quelque chose d’analogue, puisqu’ils définissent la philosophie comme méditation de la mort. » C’est évidemment à Phédon de Platon qu’il pense, mais dans une attitude toute mystique, laissant de côté tout ce qu’il y a de dialectique. Le moine ayant vaincu toutes les faiblesses et les vices de la chair comme ceux de l’âme, s’étant séparé du monde, s’étant élevé par la pensée au-dessus de la création, dans un amour ardent pour les vertus et pour Dieu, obtient la quiétude sacrée du corps et de l’âme, dont le terme final est l’impassibilité, la paix de l’âme affranchie du trouble des passions. Il lui reste à s’unir à Dieu. Il y arrivera par la prière. La prière, dit Climaque, est, quant à sa qualité, une conversation familière de l’homme et de Dieu. Dans sa perfection la prière est un enlèvement vers Dieu.