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Flambée et Agonie
Gorceix : LE PAN CHERUBIQUE
Bernard Gorceix
samedi 2 août 2014
Extrait du livre « Flambée et Agonie »
La rareté des évocations de l’union, l’ambiguïté des rares témoignages, qui annoncent l’échec du séraphisme après celui du chérubisme, doivent être rapprochées d’une réflexion qu’impose l’analyse de l’appel. Nous avons vu son intensité, le débordement d’érotisme qu’il contenait. Or, ceux-ci ne s’expliquent pas seulement par l’impatience de l’âme amoureuse de Jésus, mais par une véritable exaspération due à l’attente jamais comblée, à l’espoir toujours déçu. Si nous regardons de près les textes qui décrivent l’appel, nous remarquons de fait qu’ils ne sont pour ainsi dire jamais au présent, mais toujours à l’impératif : « Viens », « laisse-moi entrer dans ton royaume », « mets un terme à mon désir », « laisse-moi sur terre me fiancer avec toi ». Nous avons la très nette impression que le spirituel, à chaque poème, sent l’union proche, se l’imagine sous tous ses aspects, que son enthousiasme grandit, que sa joie augmente. Puis, la ligne se brise, une question seule demeure, ou bien une supplication, un désanchantement :
Exhausse-moi que je t’embrasse
Et que je jouisse de ton miel ;
Afin que s’achève mon désir,
Qui me tient prisonnier depuis ma jeunesse (III, 85, p. 117).
La douleur née de l’insatisfaction s’exprime dans l’utilisation des pronoms interrogatifs : quand, où, pourquoi ? Du premier au sixième livre, ils sont partout, à chaque page. « Quand mon cour sera-t-il tout entier attiré en toi, après avoir quitté la terre ? » (III, 73, p. 104). « Quand serai-je digne de contempler ta splendeur ? » (III, 80, p. 111). Psyché égarée cherche partout, elle court les bois, les prés, elle accepte la solitude, elle se jette au pied de la croix, et cependant :
Les deux derniers témoins
Où es-tu, très beau fiancé, O enfant chéri ?
Où es-tu doux agneau de Dieu (I, 13) ?
Un des plus beaux textes qui chantent ce désarroi se trouve dans le livre V (165, p. 250 sq.). Les deux premières strophes commencent par une question introduite par le pronom interrogatif : quand ? Psyché voit bien l’aurore poindre. Mais rien ne se passe : Car mon esprit a toujours plus peur Parce qu’il ne vient pas, mon séjour.
Alors l’impatience redouble, marquée par la répétition du verbe : devoir (ich muss) : « Je dois le voir, je dois l’avoir ». Le poème cependant ne va pas plus loin que l’interrogation. Jésus n’est pas venu. Parfois, au-delà des questions et des impératifs, le désarroi sans mensonge éclate :
Ah ! quel grand supplice
De l’aimer et de ne pas être à ses côtés (III, 75, p. 106).
Parfois, c’est un timide chantage qui essaie d’apitoyer l’ingrat : qu’il regarde le misérable état de son amante, ou bien : si tu viens, je te chanterai, ou encore : si je viens, c’est toi qui auras ma mort sur la conscience, c’est toi en effet qui es responsable, puisque tu as suscité mon désir. La seule consolation n’est que transitoire. L’on ne peut pas éternellement se représenter le bonheur futur d’une vision béatifique, d’une union de gloire. Peut-on se satisfaire d’un avenir qui paraît certain, mais qui n’est tout de même qu’avenir ?

