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Flambée et Agonie

Gorceix : LE PAN CHERUBIQUE

Bernard Gorceix

samedi 2 août 2014

Extrait du livre « Flambée et Agonie »

Deux motifs dominants s’imposent dans cet érotisme mystique dont le mauvais goût ne doit pas être trop dénoncé par le siècle de la pornographie. Le premier est ce que nous pouvons appeler : la thématique du lieu clos. A tous les niveaux de la méditation en effet, nous remarquons que l’appel de Jésus par l’âme est avant tout l’aspiration à un espace fermé, où elle peut goûter le vrai bonheur. Le plus souvent, cet espace fermé est identifié au cour de Jésus, qui est aussi le cour de Psyché. Le poète parle alors de : chambre du cour (Hertzens-Kammer), chambre nuptiale dans laquelle viendra le fiancé, pour célébrer avec celle qu’il aime des noces éternelles. Le cou-r est un écrin, où Jésus déverse ses flammes. Un temple, temple de la pudeur, un jardin où doit venir le très cher amant, afin que croissent mieux les fruits qui y poussent : Jésus devient un jardinier qui assure la floraison. Une caverne, une crèche, un port, un vase, une tour, un château : autant d’abris, de cachettes, dont la répétition frappe. Des métaphores plus rares encore s’inscrivent dans ce contexte, celle par exemple de l’huître perlière. Que l’écrin de mon cour, reprend le refrain de l’églogue 158, soit la nacre (en allemand : Perl-Mutter) de la perle qu’est Jésus ; pour ce faire, que le feu christique brûle dans l’âme, pour la transformer, pour inciter la nacre à produire la perle, que Jésus soit la rosée du ciel qui, tombant goutte à goutte, permette la concrétion précieuse. Une complexe alchimie préside à la naissance dans l’athanor de l’âme du fiancé céleste. Cet espace clos, plus encore, a des portes, par lesquelles s’introduit Jésus, portes qui sont dites de rose, comparées à une crevasse embaumée ! (Balsam-Ritz) (V, 174, p. 261). La clef de David y est nécessaire, afin que s’ouvre la serrure mystique ! Bien souvent, ce n’est plus le cour de Jésus qui forme l’espace fermé, mais le corps tout entier du crucifié. Ce dernier est alors identifié à une salle où se dérouleront les noces, salle dont les portes sont grand ouvertes à une âme préparée (II, 51, p. 79), ou bien à une caverne d’or, qui est aussi cité de joie. Lorsque l’on accède à lui, l’on pénètre dans une vallée de lys. Il est encore une bergerie, dans laquelle la brebis égarée trouve enfin un repos mérité. Le culte des plaies se greffe parfaitement sur cette thématique, car les plaies sont autant d’ouvertures par lesquelles nous pénétrons l’intimité de l’amant céleste, ouvertures qui sont cependant aussi autant de sources desquelles jaillit le sang, baume réconfort, rose et rouge, qui désaltère le pèlerin amoureux. Le mystique tout entier veut donc s’y noyer, parce qu’elles sont les fossés de miel, qui redonnent la vie au cour malade. II les salue donc, elles qui sont « l’asile calme de son âme », les adore et les baise (II, 46, p. 69). Il veut vivre en elles, « s’incorporer à elles » (II, 47, p. 72). Il se compare à l’abeille, mais le miel qu’il butine est le sang de Jésus. Dans un jeu étrange, et combien ambigu, le poète décrit comment le pâtre, en ces plaies et de ces plaies, entre et sort, et combien de délices chaque pénétration lui procure (III, 106, p. 145). Dans la Sainte joie... de Johannes Scheffler, le refoulement traditionnel de la mystique nuptiale, comme si elle sentait sa fin proche, va se libérant, se défoulant dans la satisfaction verbale encore de désirs presque conscients.

Le deuxième groupe de motifs est fréquent dans la langue contemplative. Son intensité n’en surprend pas moins tout au long du recueil. Il s’agit de l’alternance, qui est à la fois complémentarité et opposition, du thème de l’eau et du thème du feu, avec ses deux corollaires, la noyade et la fusion. A la fureur de l’érotisme se joint, comme toujours, le délire de la violence. L’oubli auquel aspire l’âme dans le bonheur de l’union est décrit comme un supplice soit d’ignition, soit d’immersion. L’âme s’enflamme, elle part en flammes, ou bien, elle est incendiée, elle devient un brasier, né de l’effet d’une flamme venue du ciel ou d’un éclair qui fond le cour. Les particules séparables des verbes allemands peuvent traduire en détail la soudaineté ou la totalité de ces embrasements-inondations : durchgluhen, entbrennen. D’autre part, le cour est certes abreuvé normalement par ce que l’auteur appelle : la « sève de la déité » (I, 32, p. 47). Nous avons déjà vu aussi que le sang qui coule des blessures du Christ était plus délicieux que le meilleur des vins. Mais ce sang, il est capable aussi de nous inonder au pied de la croix. Nous sombrons, nous nous noyons dans la mer de la divinité. Les termes empruntés au domaine du feu et de l’eau varient les motifs : l’amour de Jésus est une étincelle, une lumière dorée. Il a un éclat supérieur au soleil. Il est souvent comparé à une étoile, soit l’étoile polaire, soit celle du matin, soit, plus généralement, l’étoile qui nous guide (Leitstern). Mais, dans le registre opposé, il est aussi de nature aqueuse. L’auteur multiplie les expressions : il est soit une source, soit une rosée, soit une pluie. Il peut aussi être une rivière, un fleuve, voire une mer de joie ou de volupté, une huile, un nectar, un jus, une sève, un moût, un vin, un oint... Parfois, les images ignées et aqueuses sont utilisées côte à côte, par exemple :

Verse les flammes de ton amour
Comme un grand fleuve en moi (II, 51, p. 71).

Ou bien, l’âme goûte à la fois les délices de la chaleur et de la fraîcheur, d’un feu dévorant et d’une eau apaisante.