Litteratura

Accueil > Shruti - Smriti > Balthasar : LES QUATRE THEMES FONDAMENTAUX DE MAXIME LE CONFESSEUR

Liturgie cosmique

Balthasar : LES QUATRE THEMES FONDAMENTAUX DE MAXIME LE CONFESSEUR

Hans Urs von Balthasar

dimanche 14 septembre 2014

2. Mais si Maxime est « comme le Pseudo-Denys, un mystique, il est un mystique doublé d’un métaphysicien et d’un ascète, et qui a acquis, en fréquentant la philosophie aristotélicienne, une vigueur et une précision de pensée que l’on chercherait en vain dans l’Aréopagite ». Cette phrase d’un patrologue français note la différence précise entre le Maître et son commentateur, en même temps qu’elle souligne le deuxième élément de la pensée de Maxime. Denys est un visionnaire qui explicite sa mystique dans une théologie franchement émanatiste, dérivée de Proclus et dont l’expression — nous ne disons pas l’esprit — ne peut s’accorder telle quelle avec une cosmologie chrétienne. Maxime a senti le point névralgique du système. Avec une extrême délicatesse et un discernement très sûr, il transpose le système émanatiste en une métaphysique chrétienne. Sa remarquable formation philosophique, l’étude de Léonce de Byzance, qu’il n’a peut-être, à vrai dire, abordée que plus tard, ont développé en lui, avec le goût d’une précision minutieuse dans l’expression de sa pensée, une sorte d’aisance à jongler avec des concepts particulièrement abstraits — concision qu’à grand tort on a confondue, à la suite de Photius, avec l’obscurité et l’emphase, mais qui est le résultat d’une précision mathématique presque excessive. Cette formation philosophique lui a fourni en outre la meilleure arme contre l’émanatisme de Denys, le concept aristotélicien et stoïcien du katholou. Au lieu de la conception néo-platonicienne de la chute des idées, qui jetait une ombre épaisse sur la valeur profonde du monde, se dresse l’optimisme aristotélicien qui voit dans l’existence matérielle du katholou sa forme d’être naturelle. Au lieu d’un monde provisoire, comme le crée chez Origène et même chez Denys, le rythme néo-platonicien d’épanchement et de retour, diastole et systole de la divinité, se pose un monde définitif, suppôt d’un surnaturel qui, en l’élevant, lui laissera sa forme intégrale. Il est très significatif que ce sentiment de la dignité du monde naturel soit l’argument essentiel de Maxime contre Origène. « Rien n’est plus à craindre que, si nous affirmons les âmes préexistantes par rapport aux corps et unies aux corps en punition d’un péché commis par des êtres incorporels avant leur naissance, nous arrivions à croire que ce chef-d’oeuvre unique qu’est le monde visible, dans lequel Dieu se fait connaître par une révélation silencieuse, n’ait d’autre cause que le péché. » En un certain sens, de tous les Pères, Maxime est le penseur le plus ouvert au monde ; il dépasse même Grégoire de Nysse en attribuant une valeur positive fondamentale à la nature. A l’autorité unique de l’Écriture, chère à Origène, il ajoute, complément d’égale valeur à ses yeux, le monde naturel comme source de la sagesse. C’est à ces deux grands « livres » que se puise et que s’achève tout savoir parfait, même celui des chrétiens, même celui du mystique. La « contemplation de la nature » (theoria physike), avec toutes les ressources de sens caché inhérentes à chaque être, devient la voie unique et nécessaire qui mène à la connaissance de Dieu. Cette contemplation englobe les astres eux-mêmes : ils sont les signes horoscopiques d’événements déterminés. « Les étoiles sont au ciel comme les lettres dans un livre. Étoiles et lettres sont les sources du savoir humain sur les choses ; les lettres rappellent aux hommes les mots et leur sens ; dans les étoiles, comme s’ils lisaient une écriture, ils déchiffrent les temps et les signes... » Le sage, au milieu du monde et des choses est comme dans la chambre au trésor du savoir inépuisable. Rien ne le laisse indifférent et froid, chaque être contient une nourriture pour son esprit.