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ÉTUDES DE PHILOSOPHIE ANCIENNE ET DE PHILOSOPHIE MODERNE

Brochard : LES MYTHES DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON

V. Brochard

lundi 17 juin 2013

Le Timée nous représente l’âme humaine comme composée de deux parties : l’une mortelle, l’autre immortelle ; et cette affirmation très évidemment se retrouve ailleurs. Mais en outre la partie rationnelle ou immortelle de l’âme nous est donnée elle-même comme composée de trois éléments : l’essence du même, celle de l’autre, et une essence intermédiaire qui ne paraît pas être autre chose que le nombre. Or, si étrange que cela paraisse à première vue, nous croyons que cette composition de l’âme rationnelle doit être prise au sérieux. Sans doute il ne faudrait pas pousser les choses à l’extrême, et quand Platon parle de la coupe ou du cratère dans lequel Dieu a mêlé les éléments constituants de l’âme, on ne doit pas s’imaginer qu’il s’agisse d’un objet corporel et d’un mélange comme celui que faisaient les alchimistes. Mais qu’il s’agisse là d’un véritable mélange idéal, en d’autres termes, que l’âme humaine, loin d’être simple, comme nous le disons aujourd’hui, soit réellement un composé, un mélange, c’est ce qui deviendra évident peut-être, si l’on considère que le mot de mixis ou ses équivalents reviennent à chaque instant chez Platon et qu’ils sont, en fin de compte, comme on peut le voir par le Sophiste, synonymes de ce que le philosophe appelle la participation. Au surplus il n’y a pas de difficulté, dans cette philosophie, à concevoir qu’un mélange soit immortel ou éternel, pourvu qu’il soit bien fait, ou qu’il ait été formé par la main des Dieux. C’est ce que dit en propres termes le Timée dans cet étrange discours que le démiurge adresse aux dieux récemment créés : Vous n’êtes pas indécomposables, adialytoi ; mais cependant vous ne serez pas détruits, ou lytheseste, parce que je le veux ainsi, tes emes bouleseos, et c’est ce que confirme le texte de la République, X, 611, B : il n’est pas facile qu’un composé soit éternel, surtout si la composition n’en est pas très belle, khai me te challiste kechremenon synthesei. L’âme immortelle est donc composée d’idées fondues ensemble avec une parfaite harmonie, et cela signifie qu’elle participe essentiellement de la nature du même ou de l’un, et de la nature de l’autre ou du multiple unies entre elles comme toujours chez Platon par un moyen terme (metaxu) ; et c’est parce qu’elle est ainsi composée qu’elle peut connaître, d’une part ce qui est toujours identique à soi-même, c’est-à-dire les Idées, d’autre part ce qui change sans cesse, c’est-à-dire le monde sensible. Car c’est un principe constant dans la philosophie platonicienne que le semblable seul connaît le semblable. La connaissance dans cette philosophie s’explique par ce fait que le sujet est substantiellement identique à l’objet. Empédocle, composant l’âme d’éléments corporels, disait que c’est par la terre que l’âme connaît la terre, et par l’eau qu’elle contient qu’elle connaît l’eau ; Platon, composant l’âme d’éléments idéaux, conçoit exactement de la même manière le rapport du sujet et de l’objet : c’est ce qui nous est attesté expressément par Aristote dans un passage du traité de L’Ame (liv. I, ch. h, 404 B, 16).